Corps en séance, entre Esthétique et Perturbations

Corps en séance : entre Esthétique et Perturbations 

Dr Alain CHABERT

EcoSystèmeAssociation (ESA)

Centre Hospitalier de la Savoie

BASSENS 73011 CHAMBERY

FRANCE

6th E.F.T.A. CONGRESS GLASGOW 2007

ABSTRACT :

BODIES IN SESSION : BETWEEN AESTHETICS AND PERTURBATIONS

We will question how we deal with the different facets of the experienced body, in sytemic family therapy, by interrelating systemic therapy and phenomenology.

We’ll start from the opposition between carrying body and appearing body, these forming together the experienced body.

Carrying body refers to the perceived biological body, to emotions. It relates to the somatic symptom.
Appearing body refers to symbolism, expression, language. It relates to the hysterical symptom. It’s meant to appear in the space separating and connecting men.

Whereas carrying body isn’t meant to appear. It embodies, as best as possible, the VARELA and MATURANA’s closure notion.

In family therapy, the between-space is the systemic scene, created by second cybernetic tools, notably sculptures, using appearing bodies. So, the therapist lets systemic narrative identities appear.

But the carrying bodies of the therapeutic system members, including the therapist’s, can’t avoid to be there, although they’re not meant to.
How can we approach the different facets of the experienced body, avoiding possible shifts towards a standardized normality, a repairing viewpoint? Can we keep a non-linear, constructivist, viewpoint?

We will use BIN KIMURA’s works, his essential notion of “Aida” (Between), to consider interest and limits of the organizational closure concept. In session, we will look for perturbations, rather than for instructions.

Clinical examples from family therapies, will illustrate our talk, and, if the case arises, allow exercises.

ABSTRACT :

CORPS EN SEANCE: ENTRE ESTHETIQUE ET PERTURBATIONS

Le propos sera de s’interroger sur les façons de s’adresser, en thérapie familiale systémique, aux différentes facettes du corps vécu, grâce à des regards croisés entre thérapie systémique et phénoménologie.
Nous partirons de l’opposition entre Corps porteur et Corps en apparition, dont l’ensemble forme, pour la phénoménologie, la corporéité.
Corps porteur renvoie au biologique perçu, à l’émotionnel. Le symptôme somatique lui répond.

Corps en apparition renvoie au symbolisme, à l’expression, au langage. Le symptôme hystérique lui répond. Il est fait pour paraître, dans l’espace qui sépare et qui relie les hommes.

Alors que le corps porteur n’est pas fait pour paraître, et incarne au mieux la notion de « clôture », de Varela et Maturana.

En thérapie familiale, l’espace-entre est la scène systémique, crée par les outils de seconde cybernétique, notamment les sculptures, qui utilisent le Corps en apparition. Par là, le thérapeute fait apparaître des identités narratives systémiques.
Mais ne peuvent manquer d’être là les Corps porteurs, des membres du système thérapeutique, incluant donc le thérapeute, et qui ne sont pas faits pour cela.

Comment approcher ces facettes du corps vécu, en évitant les glissements possibles vers une normativité, une perspective réparatrice ? Peut-on garder une position non linéaire, constructiviste ?

Alors, nous nous aiderons des travaux de Bin Kimura, de sa notion essentielle d’ « Aida » (Entre), pour regarder l’intérêt et les limites de l’idée de clôture organisationnelle, et pour rechercher, en séance des perturbations, plutôt que des instructions.

Des exemples cliniques de thérapies familiales illustreront notre propos, et permettront, le cas échéant, des exercices.

Quelques mots de présentation de notre équipe :

C’est une équipe de thérapie familiale systémique, qui opère dans le cadre public d’un

C. H. S., en Savoie (France !) ; nos références principales sont les travaux de Robert Neuburger et de Yveline Rey et Philippe Caillé.

C’est aussi une association, ESA EcoSystèmeAssociation, qui produit de la formation, de la supervision, des séminaires et colloques.
Un travail de collaboration avec des thérapeutes corporels (Qi Gong, Tai-Ji-Quan), nourrit la recherche (séminaires résidentiels), dont cette communication est un moment…

Nous avions souhaité ouvrir un atelier, où des exercices auraient été possibles, in situ, mais les corps doivent laisser la place aux paroles…donc :

Corps en séance, entre esthétique et perturbations

Eve, 39 ans et Ferdinand, 40 ans, viennent nous voir 2 ans après la mort de leur premier enfant, Gaspard, à l’age de 5 mois, d’une mucoviscidose d’évolution très rapide. Ils ont une fille, Anne, 1 ans. Au cours de nos rencontres (11 entre 2004 et 2006), Eve a été enceinte et a du subir une interruption thérapeutique de grossesse, au 8° mois, pour malformation non viable de la moelle épinière, non dépistée malgré le (ou à cause du) suivi rapproché. La phénoménologie de leur difficulté s’est centré sur la fatigue, énoncée et ré – énoncée, envahissant les corps, les séances. Chacun se montre agressif, devant la fatigue de l’autre ; mais l’agressivité, reçue, accroît la fatigue…L’ambiance est pesante, l’épuisement menace le thérapeute, dont Eve et Ferdinand attendent un miracle. Alors, derrière la glace sans tain, travail d’hypothèse, jeu de mime et de recherche de variations entre thérapeute et cothérapeute. Et, par exemple, cet exercice du « Régulariser la respiration » montré et effectué en séance, puis prescrit.

I – Nous partirons de quelques distinctions  proposées par l’Anthropologie compréhensive de Zutt et Kulenkampff, psychiatres et phénoménologues allemands.

La première distinction est entre corps vécu (ou corps vivant), qui se distingue du soma, comme corps propre de corps objet, ou encore corps-que-je-suis de corps-que-j’ai.

La deuxième distinction oppose deux notions complémentaires qui déploient l’expérience du corps vivant: corps-en-apparition (ou corps-esthétique), et corps-porteur (ou corps-support).

Le corps-en-apparition est un mode d’être essentiel pour les hommes. Il apparaît dans l’espace anthropologique, inter humain. Il apparaît donc de façon réciproque (« parole, bruit de pas dans l’escalier, fumée de cigarette »), mais surtout à travers le regard, comme phénomène du corps vivant. Le corps-que-je-suis apparaît par le regard, mais autrui apparaît aussi, au pluriel, par son (ses) regard(s) et peut s’étendre jusqu’à moi, voire en moi. Un équilibre s’établit entre regarder et être regardé.

Apparaissant, le corps vivant est déjà vêtement ; il voile ou dévoile intelligence, humeur : Apparaître, disparaître, se déguiser…

Dans l’espace anthropologique, inter-humain, chacun entrelace son mouvement et sa perception, œil et lumière, oreille et son, pas et espace.

C’est une pluralité de corps qui apparaissent dans l’espace inter-humain. Le corps-que-je-suis est alors soumis à ce que Zutt et Kullenkampff appellent pression physionomique.

Ils nomment Stance la capacité de se tenir, de résister aux pressions physionomiques, de n’être ni pressé, ni subjugué, par ce qui entoure, de ne pas lui faire violence, mais, au contraire, de le laisser être, de le ménager.

Le corps-en-apparition avance, dans le temps, parmi les autres, à travers les évènements qui s’organisent en un récit. C’est la Marche, et une biographie est celle d’un être toujours-en-marche.

Le corps-porteur est, lui, le support de la vie humaine, en rapport avec le domaine affectif et instinctuel.

Si je peux décider volontairement de regarder, de prendre, de marcher, je ne peux décider d’être gai, triste, excité sexuellement, fatigué ou reposé, endormi ou éveillé. C’est une perception globalisante. Ce corps vécu peut être exploré, détaillé, par des techniques de relaxation (différentes parties, chaud ou froid, lourd ou léger, tendu ou détendu…).

L’historicité du corps-porteur est celle du temps long, lent, rythmé par les grandes étapes (naissance, maturité adulte, vieillissement, mort). Ce sont des vécus unitaires, que seul le dualisme cartésien sépare en vécus psychiques et manifestations somatiques objectivables.

La mondanité, est ici une tonalité générale, globale, pré individuelle : monde du jour ou de la nuit, un monde nourrissant, désaltérant, attristant ou chatoyant, excitant sexuellement, morne, etc.…Bref, c’est une ambiance, complémentaire de l’ individualisation des physionomies.

Par le corps-porteur, je suis porté dans, à travers, puis hors de, la vie, en un flux continu.

Les deux facettes du corps vivant sont en interaction :

Le corps-en-apparition délimite ce qui peut apparaître et ce qui apparaît peut ne pas être adéquat au vécu affectif. Par exemple, paraître gai et être attristé.

Notons que ce qui apparaît modifie le vécu affectif ; « l’homme attristé affectant la gaîté n’est pas gai, mais pas simplement triste non plus ».

Mais la réciproque vaut aussi : les états de perception globale du corps-porteur modifient ce qui vient à apparaître dans l’espace inter-humain.

Quelques exercices, utilisables en formation, ou ici si c’était un atelier…

Pour le corps-en-apparition : Exercices de regard (large ou dirigé, sur les physionomies ou le fond, perception du regard d’autrui) ; exercices d’apparition (manière d’entrer, de se déplacer); exercices de stance (variations de distance des autres, rétroactions) ; exercices de physionomies et de pression par l’intermédiaire de masques (par exemple).

Pour le corps-porteur : exercices d’ambiances (impressions produites par des types d’ambiance ; descriptions d’ambiances par des procédés analogiques tels :bruit, odeur, couleur) ; exercices de sentir pathique (impressions produites par des expressions corporelles globales)

Pour l’interaction entre les deux : effets et signification d’un sourire énigmatique, d’un geste incongru ; jeu du culbuto et variations de physionomie et de tonicité).

II – Qu’en est-il de ces deux versants de la corporéité, du corps-que-je-suis, dans l’espace de la séance en thérapie familiale ?

Cet espace anthropologique particulier se crée dés le début de la rencontre thérapeutique. Il existe, dés lors, entre les différents protagonistes : thérapeute, cothérapeute(s), membres de la famille ou du couple. Cet espace est crée, de façon systémique, par les outils de 2° cybernétique. C’est-à-dire qu’il est construit, ou co-construit, par les protagonistes, et non donné. Les objets flottants s’y déploient et le construisent. C’est une création langagière (métaphorique et narrative).

Chaque corps-que-je-suis construit, contribue à cette construction, en apparaissant dans cet espace.

Marie, 54 ans, Charles, 45 ans, leurs filles Esther, 24 ans et Angélique, 23 ans et leur fils Pierre, 21 ans, viennent pour une mésentente entre les 3 femmes, que les hommes regardent avec bienveillance ou agacement selon les moments. Dans les sculptures phénoménologiques (les relations), la position des hommes est excentrée, leurs regards étant soit tournés vers, soit détournés de, ce triangle féminin, proche et électrique.
L’histoire qui se raconte est une histoire où la mort plane : accidents obstétricaux graves à chaque naissance, laryngite quasi-mortelle d’Angélique, 3 opérations pour cancer récidivant chez Marie, qui fait maintenant des crises de tétanie avec évanouissements ; ah, oui, il y a aussi l’anorexie mentale d’Esther, qui a, en fait, déclanché la demande, Esther s’étant trouvé plusieurs fois au seuil de la mort.

Les corps et les regards disent des attentes, des élans de tendresse, de la retenue, et de la crispation.

La construction de l’espace a pu s’appuyer sur des jeux sur les sculptures phénoménologiques, jeux de places et de regards, mais aussi, à la fin de nos rencontres, pendant la lecture d’un conte systémique, l’utilisation d’un air sifflé défini comme « mélodie qui aurait pu être gai, mais rendant un son un peu mélancolique ».

A ce point, il convient de reprendre les choses à partir de la notion d’analogie.

C’est une notion double.

D’une part, analogie renvoie à image, à comparaison, à métaphore. En séance, on fait « comme si ». Ce que la famille montre, c’est une image de sa vie familiale, une image pour le thérapeute. Pour ce faire, elle raconte une histoire, et, ce faisant, elle se raconte. Elle le fait sous la pression des questions du thérapeute.

C’est dire que les corps sont appelés comme éléments de cette narration analogique. C’est un haussement d’épaule, ou de sourcil, un détournement de tête, un geste volontaire de la main, une caresse ; ça peut être, pour un enfant, aller se coucher sur l’un de ses parents, ou s’asseoir par terre…

En systémie on va être attentif aux effets que produit tel signifiant, qu’il soit verbal ou corporel, à la circularité des actes et des paroles.

Mais le thérapeute, à son tour, dans le jeu narratif qu’il essaye d’animer, va prendre son corps au récit, sursignifier parfois. Il s’avance sur son fauteuil, se recule, prend l’air étonné ; ses bras miment une balance pour équilibrer les paroles, ailleurs un tranchant, ou une invite, une compassion ou une mise en humour. Ceci inclut les procédés phatiques, conscients ou inconscients, qu’il utilise.

Ce premier versant de l’analogie fait écho au corps-en-apparition : Les corps, de la famille, du thérapeute, apparaissent, se montrent, dans l’espace de la séance. Les physionomies font pression les unes sur les autres, incluant là ces physionomies imaginée des co-thérapeutes, voire des stagiaires, derrière le miroir.
Mais le miroir lui-même, dans lequel la famille se mire, démultiplie les physionomies, superpose les visages, ceux du dedans, visibles et doubles, et ceux du dehors, parfois entr’aperçus, surtout devinés.

Et le thérapeute d’expérimenter sa propre stance, entouré qu’il est de ces visages qui le pressent.

.

Analogie, dans sa deuxième acception, tout aussi présente, s’oppose à digital, exprime le continuum, ce qui varie en plus ou en moins et non en tout ou rien, ce qui se mesure à peu prés plutôt que ce qui se compte précisément.

Avec ce versant, c’est moins ce qui se raconte que ce qui s’exprime qui est là. Emotions, ambiance perçue, chaleur…Ce n’est plus tant une action qui se déroule, qu’une passion qui est présente. Une larme ou un épuisement, ou alors un calme, ou une communauté, ou un vide…Le temps est comme suspendu ; c’est un instant, presque une éternité.

Et pourtant, bien sur, en même temps, une histoire se déroule, des signifiants s’accrochent, se concatènent. Les deux aspects sont complémentaires.
Pour le premier aspect, le corps faisait contrepoint aux paroles. On aurait pu traduire en mots.

Pour le second aspect, on ne peut pas vraiment traduire, ou alors grossièrement : il est déprimé, il est très déprimé, il est plus déprimé… C’est pesant, c’est très pesant.
Cet analogique là, c’est celui du corps-porteur, du corps de l’affectivité.

Et il est là, aussi, en séance, ce corps-porteur ; c’est celui du pathos, du pâtir : L’un souffle, un autre rayonne, mais le thérapeute est si fatigué…

Apparaître n’est pas sa fonction, mais il est là !
Dans l’espace de la séance, qui est espace entre les protagonistes, ce qui s’échange, ce sont des discours, des narrations, et elles sont là, entre eux. Elles se modifient par interactions successives.

Mais le corps-porteur, le corps-support, le corps pesant, lui, il est là et il n’est pas modifié directement par les interactions narratives.

Et, en même temps, il interagit, pourtant, avec ces interactions narratives.

Il impressionne, voila ! Et il (en) est perturbé !

Marcel, 51 ans, porte des lunettes noires, à cause d’une photophobie liée à un glaucome. Inés, 45 ans, le regarde d’un air moqueur. Marcel enlève ses lunettes, les essuie, répond au défi du regard. Elle vient de faire une tentative de suicide. Elle lui jette : « Exprime toi ! ».

Ils ont 4 enfants. Noëlle, 26 ans, qui a traversé une toxicomanie grave, sort à peine de la galère sociale. Gaël, 24 ans, et David, 21 ans, ne vivent plus à la maison. François, 20 ans, vit à la maison, avec des problèmes de toxicomanie.

 Il va mieux. Les difficultés se concentrent sur le couple : quand Marcel a été réopéré d’une polypose colique maligne, en 1998, avec pose d’une poche à demeure, cela a produit des réactions de dégoût physique chez Inés, elle dont seul l’amour pour Marcel l’avait sauvé d’une enfance marquée par la violence et l’inceste.

Il n’y avait pas trop de temps pour le couple, les garçons, Gaël et David, porteurs de cette polypose colique maligne, ayant du être opérés, suivis, soignés, heureusement sans port de poche à demeure.

Marcel et Inés ont beaucoup surmonté, et le thérapeute sent le poids de ces histoires sur son cou, ses épaules ; il sent l’odeur de la poche dans ses narines ; les cothérapeutes, soustraits à la présence forte des corps-porteurs, peuvent apprécier la tenue, la stance et la marche, d’Inés et Marcel face aux évènements. « Une thérapie ? Non, ce serait immodeste ! Peut-être vous accompagner…»

Si on pense à ces interactions, ce qui est expression du corps-porteur pour un des protagonistes (thérapeute, co-th, membre de la famille) devient élément de corps-en-apparition pour les autres.

III – A propos de Clôture et de Perturbations

Clôture opérationnelle, ou organisationnelle : un système est clos quand l’interaction des éléments qui le constituent engendre précisément ces éléments, à l’intérieur du système.

Autopoïèse : système qui se construit, se crée, s’invente, lui-même.

C’est la possibilité pour un système vivant de développer et de maintenir sa propre organisation. L’organisation, c’est alors l’identité, c’est-à-dire aussi le réseau des interactions.

Un système autopoïétique est autonome et détermine ses propres opérations ; dans le cas contraire, il meurt.

Pour Maturana et Varela, les systèmes humains, comme les systèmes biologiques, sont autopoïétiquement clos, se créent eux-mêmes, sont autonomes.

Si un système est clos, un observateur peut interagir avec la totalité du système par des perturbations, que le système, comme totalité, compensera ou non. Mais il ne peut l’instruire ! Ce concept de clôture organisationnelle est aporétique dés qu’on dépasse les systèmes

biologiques, pour l’appliquer aux systèmes humains, dans la mesure où l’humanité n’est pas à l’intérieur d’un système humain particulier, mais est inhérente à la totalité de l’humanité, à l’humanité-comme-tout.

Ce qui est proprement humain se situe dans l’espace qui sépare et relie les hommes, qui vont y échanger des actes et des paroles. A proprement parler, la clôture organisationnelle serait l’humanité toute entière !

IV – Kimura Bin, psychiatre et phénoménologue japonais, va m’aider à développer l’aporie.

Kimura Bin essaie de « saisir la perception et le mouvement humain, dans la réciprocité de leur incidence mutuelle, et en rapport avec le fond vital d’où émerge le sujet ».

Le fond vital, commun aux être vivants, ne peut être objectivé, explicité ; il anime toujours déjà le sujet.

La rencontre entre l’organisme et le milieu donne sa forme au sujet vivant. Chaque perturbation dans le rapport organisme – milieu génère une crise. A travers elle, le sujet vivant restaure une cohérence.

Dans son propre fonctionnement interne, la substance vivante maintient un rapport avec l’extérieur, et se reproduit au sein de ce rapport.

La vie est au-delà de chaque substance particulière ; elle déborde chaque être vivant. C’est le fond des substances…et du chercheur qui s’en occupe.

Kimura Bin : « Il y a sur la terre quelque chose que nous nommons fond de la vie ». Vivre, c’est maintenir une relation à ce fond.

Les évènements du milieu forment une unité, à l’origine de l’unité du sujet, à travers les restaurations, par delà les crises.

Mais, si le sujet est rapport au fond de la vie, il est aussi principe de rencontre avec le monde.

L’Entre (Aida), est la notion fondamentale : L’homme n’est pas d’abord un solus ipse, jeté au monde, mais avant tout un être-avec-autrui, et même un être-par-autrui.

Dans cette définition relationnelle de l’homme, les notions essentielles sont l’Aida (Entre), et les Aidagara (relations).
L’Aida, c’est la coprésence originaire, la dimension première de l’être-avec-les-autres. L’Aida est le lieu originaire et commun où se constituent les existences séparées. Les personnes constituent leur Soi réciproquement, dans cet intervalle.

La famille est la configuration première de l’Aida.

Dans l’Aida, ma propre conscience intime de moi naît à son autonomie en même temps que les autres, les semblables, apparaissent dans leur autonomie propre.

L’Autre, c’est alors celui qui est présent dans l’Aida, et inaccessible car constituant, en même temps que moi sa propre conscience intime, autonome.

Le fond vital, c’est-à-dire la dimension commune à la vie environnante et à la vitalité vécue par l’homme est perdu, à partir de la constitution des consciences de Soi, et de la représentation, symbolisation, fabrication de signifiants. Mais il demeure présent sous la forme de l’atmosphère, du climat, ou : Fudo.

V – Alors, redescendons dans nos salles de thérapie et co-thérapie.

Derrière la glace sans tain, je peux voir, en faisant des distinctions au sens de B. Keeney, un système autopoïétique, avec une clôture opérationnelle. Je peux le perturber, en réalisant avec lui un couplage de systèmes. Car je dois aussi me considérer comme un système autonome, avec sa clôture opérationnelle, vu du point de vue de l’autre, ou d’un autre, système. Sur cet autre système, je ne peux agir unilatéralement.

Mais, si je considère le système formé par l’ensemble du système observant plus le système observé, m’incluant moi-même, dans ce système là, il y a interaction, langagière, incluant les « langages du corps », entre les éléments de ce système. Ces interactions réalisent des boucles cybernétiques, des feed-back, dont seul le niveau le plus élevé clôt le système, équivaut à l’autonomie de ce système ; c’est sa clôture opérationnelle.

Les deux positions sont des complémentaires cybernétiques, et non des alternatives exclusives.

Cette idée de clôture est alors une distinction, ou plutôt une description de distinction.

Elle est tout à fait pertinente pour cette part du corps-que-je-suis que nous avons nommé corps-porteur. : Il est là, mais il n’est pas fait pour apparaître ; il peut perturber et être perturbé ; mais il ne signifie pas. Les notions de Fudo (atmosphère) et de fond vital lui correspondent, lui conviennent.

Elle n’est pas pertinente pour cet autre versant du corps-que-je-suis que nous avons nommé corps-en-apparition. Narrations corporelles, narrations langagières, jeux de significations en interactions : nous sommes dans l’Aida (Entre), et échangeons des Aidagara (relations)!

Quelques perturbations

Elles ont été inventées et/ou proposées par notre équipe, fonctionnant en équipe réfléchissante, soit en thérapie, soit en jeux de rôle, au thérapeute et/ou à la famille (ou couple), pendant la séance ou en prescription :

Tous exercices de mimes et de sculpting, à partir des techniques de Caillé P. ou de Onnis L. : mimer le « plus 1 » (la famille, le couple, un système pertinent), un personnage présent ou absent, le thérapeute, le co-thérapeute… ;

Utilisation du corps du thérapeute comme espace de mime dans les sculptures (le problème, la relation,..) ;

Forcer le trait ;

Recherche de variations ou d’alternatives gestuelles (plutôt que de changement, connotation trop normative) ; 

Dans les sculptures diachroniques, passage pour un membre, de la sculpture du présent à celle du futur, sous le regard neutre et devant l’immobilité des autres ;

Image corporelle que l’autre se faisait lors de la rencontre (couple) ;

Danse entre sculptures du couple en « lune de miel » et du couple en « crise », à répéter da capo.

Mais aussi :

Balancements, dérivés du culbuto, produire un son illustrant le « plus 1 », association de passages de position debout à assise et d’ouverture – fermeture des yeux, mouvements exagérés des lèvres et production du son  « chuchotis », lever – baisser ensemble, exercice dérivé des « poussées de main » du Tai Ji Quan, ou du « Les épaules prennent la Lune et le Soleil », du Qi Gong.

Nina, 46 ans et Luc, 48 ans, sont en invalidité depuis 7 ans. Elle, c’est une hernie discale cervicale ; lui, c’est une maladie de Crohn colique. Ils ont 2 enfants Michel, 20 ans, et Serge, 17 ans, étudiants. Etudes des garçons, construction d’une maison et problèmes de santé, les ont amenés au surendettement. Ils sont envahis par les familles d’origine, n’ont plus confiance au couple, s’éloignent physiquement l’un de l’autre, n’osent plus se toucher. Le thérapeute a demandé à chacun de mimer l’autre dans l’emprise de sa maladie. Nina mime Luc sur un canapé, pensif, regard lointain, bras et jambes croisés ; Luc mime Nina toute ratatinée, recroquevillée sur une chaise. Puis le thérapeute demande à chacun « un geste que vous pourriez faire, qui aiderait votre conjoint à repousser l’emprise de sa maladie ». Luc évoque un massage d’épaules, Nina une caresse sur le dos de la main. En fin de séance, le thérapeute, tout en leur demandant de fabriquer 2 objets, représentant le Couple et la Maladie, fait ces gestes sur Luc et Nina et les leur prescrit 1 fois par semaine….

BIBLIOGRAPHIE

Andersen T.: The reflecting team, dialogues and dialogues about dialogues

Norton New York 1991

Bin Kimura: L’Entre (traduit du japonais par Claire Vincent)

Ed Jérôme Millon Grenoble 2000

Caillé P. : Familles et thérapeutes ESF Paris 1985

Caillé P. et Rey E. : Les objets flottants ESF Paris1994

Chungliang Al Huang : Tai Ji, danse du Tao Editions Guy Trédaniel Paris 1986

Despeux Catherine : Tai Ji Quan, art martial, technique de longue vie

Editions Guy Trédaniel Paris 1981

Keeney B.: Aesthetics of change Guilford Press New-York 1983

Maturana H. R. et Varela F.J. : L’arbre de la connaissance

Editions Addison-Wesley France Paris 1994

Neuburger R. : Les rituels familiaux Payot Paris 2006

Onnis L. Corps et contexte ESF paris 1989

Tatossian A. et Giudicelli S. : De la phénoménologie de Jaspers au « retour à Husserl »

l’anthropologie compréhensive de Zutt et Kulenkampff

Confrontations Psychiatriques N°11, 1973

Von Foerster H.: La construction d’une réalité

In Watzlavick et coll. : L’invention de la réalité Seuil Paris 1988

Von Glazersfeld E. : Introduction à un constructivisme radical

In Watzlavick et coll. : L’invention de la réalité Seuil Paris 1988