Y aurait-il une politique familiale du gène

Y ’ AURAIT-IL

UNE

POLITIQUE FAMILIALE DU GENE ?

Dr Alain CHABERT

  1. Introduction, sous forme d’un collage, à la manière de Michaël MOORE dans Bowling for Colombine, le film. 2002.

  2. Psychiatres, vous êtes cernés !

  3. Le programme, ou la promesse ?

  4. Gens d’en bas, restez-y !

Y’aurait-il une politique familiale du Gène ?

William Bateson, inventeur du mot « génétique », la dégage de la gangue hériditariste du XIXème qui « entendait prédire les qualités du fils en connaissant celles du père ». Il parle du jeu des gènes et décrit la transmission biologique comme appartenant au domaine des probabilités et de la recombinaison des caractères « siège d’une incertitude incompatible avec quelque idée d’identité ». Il disjoint hérédité biologique et hérédité psychique et ajoute « les espèces sont approximativement adaptées à leurs circonstances ».

Bateson (1894) “Materials for the study of Variation” (Mc Milla and Co ed,1894), et Michel Veuille « William Bateson et la dissidence de la génétique ».

In G. Bateson, Colloque de Cerizy 1er état d’un héritage. Ed. Seuil 1980.

Binding (juriste) et Hoche (psychiatre) publient à Leipzig en 1920 une « législation de la destruction de la vie indigne d’être vécue ». Adolf Hitler l’a évidemment lu, qui écrit dans Mein Kampf « la politique est aujourd’hui complètement aveugle, si elle ne repose sur des fondements et des finalités biologiques ».

Certes « l’évolution actuelle de la prise en charge des schizophrènes s’enracine dans celle des disciplines en progrès que sont la psycholopathologie quantitative et la psycho-pharmacologie… La révolution que constitue le passage des neuroleptiques aux antipsychotiques gît peut être dans le plus grand ciblage de l’effet recherché… Il appartiendra alors également à celui-ci (le progrès) de pouvoir contribuer à l’éclaircissement de ce qui constitue aujourd’hui une tache aveugle des recherches empiriques, le passage de la vulnérabilité à la maladie ».

Professeur J.M. AZORIN in Le Journal, Revue Trimestrielle de F.M.C., Psychiatrie N° 11, 2000. En dernière page vous pouvez lire.

« Schizophrénie, vous gagnez en efficacité, il gagne en autonomie, plus loin dans l’autonomie avec ZYPREXA, OLANZAPINE…

Mais « l’exaltation de la vie comme pure manifestation biologique produit les conditions idéales pour l’élimination des vies qui représentent une moindre valeur biologique ».

Vicktor Von Weizacker

Traite sur l’euthanasie et l’expérimentation sur les êtres humains.

Psyche Quaderne N° 1, 1947.

Certes : « LBP – 1 c/CP2/LSF, nouveau gêne de susceptibilité ? Marie-Christine Chartier-Harlin, a, en particulier présenté avec une synthèse des données disponibles sur la génétique de la maladie d’Alzheimer, les travaux récents de son groupe sur le rôle du gêne LPP-1c/cP2/LSF. Rappelons qu’un certain nombre d’études ont révélé le rôle probable d’un gêne situe le chromosome 12, où se trouvent divers gênes, candidats, notamment ceux de l’X – 2 macroglobuline et du LRP. Ces données concernant ces gênes ne sont pas très claires dans la mesure où les études récentes ne corroborent pas celles obtenues précédemment ».

Alzheimer actualités N° 60 01-02/2000.

Mais « La transformation radicale de la psychiatrie implique une conception biologique de la vie psychique ». Professeur Carl Schneider, psychiatre, cité par Vicktor Brack au procès de Nuremberg. Ce dernier ajoute « nous devrions nous demander si la vie des malades mentaux incurables est encore digne d’être vécue ».

Procès de Nuremberg, protocole p 7744.

Certes, l’A.P.A. (non, non, « Alpes Psychiatrie Actualités », pas l’autre…) organise le 27 novembre 2002 à Grenoble sa journée annuelle sur le thème « génétique et psychiatrie ».

L’argument précise « le caractère familial de certaines maladies psychiatriques est reconnu depuis longtemps, notamment celui de la P.M.D. ou des schizophrénies. Au cours des dernières années, les progrès considérables des méthodes de recherche en génétique moléculaire ont permis de franchir un pas supplémentaire dans l’identification des facteurs génétiques en cause et il est désormais à notre portée de lier certaines pathologies spécifiques à des anomalies de gênes particuliers désormais identifiés ».

Si, en ouverture « une conférence sera consacrée aux aspects éthiques de la recherche génétique en psychiatrie » à 17 heures un symposium Sanofi-Synthélabo clôturera la journée sur les difficultés du diagnostic entre schizophrénie et trouble bipolaire.

Mais « Les nouvelles orientations pour l’assainissement génétique qui fait que les concepts de maladie mentale, de maladie héréditaire, de caractère incurable et de poids inutile pour la collectivité sont considérés comme équivalents… ».

Rapport du Professeur Kleist, Francfort 1938,

Sur l’Asile de Herbron.

Certes,

« La notion la plus forte de ces dernières années est celle qui fait des diverses maladies dégénératives des pathologies d’une molécule particulière, des protéinopathies, des tauopathies, des alpha-synucléopathies… C’est un peu compliqué sur le plan linguistique, mais la vérité l’est encore plus. Seth Grant (Edinburgh) a bien montré qu’il fallait concevoir les protéines du neurone comme des ensembles agissant en réseau, en groupe de protéines, objets cellulaires avec des noms en « some » (secrétosome, protéasome, hebbosome) des networks gigantesques. Seth Grant imagine alors des complexopathies ou des networkpathies ». Alzheimer Actualités N° 160 de 2002.

Mais

« Toutes les grandes civilisations de l’antiquité ont décliné parce que la race originaire qui les avait créés est morte du fait de la contamination du sang… La conservation de la race est soumise à la loi de fer de la nécessité et du droit à la suprématie des meilleurs et des plus forts. Celui qui veut vivre doit donc lutter et celui qui ne prend pas part au combat dans ce monde de luttes éternelles, ne mérite pas la vie ».

Adolf Hitler, Mein Kampf Ch. 11.

Certes

« Le modèle de vulnérabilité ouvre sur une perspective diachronique : on naît vulnérable du fait d’interaction entre des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux précoces au cours du développement, et on devient schizophrène par l’intervention de facteurs exogènes environnementaux plus tardifs (par exemple la prise de toxique) et/ou de facteurs endogènes notamment à l’occasion des modifications hormonales liées à la maturation pubertaire (théorie du double Hit). A l’appui de ce concept, la présence d’anomalies morphologiques, neurologiques ou cognitives chez les apparentés « sains », sans troubles psychiatriques. Les apparentés sains sont également porteurs d’anomalies cérébrales généralement considérées comme intermédiaires entre celles de leur apparenté atteint et la « normale ».

Marie-Odile Kubs et David Gourian

Lettre de la schizophrénie N° 27, 06/2002.

Mais,

« le nombre total de malades exterminés au 1er septembre 1943 atteint 70 273, soit une économie de 88 543 980 R.M. » statistique officielle du Service de Santé Nazi cité par Alice Ricciardi Von Platen dans « l’extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazi » Trad. Patrick Faugeras Erès 2001.

Pour la commission des crimes de guerre de Nuremberg, ce sont 260 000 personnes qui auraient été exterminées.

En France, 40 000 fous ont été affamés volontairement. Au-delà des exterminés, 400 000 personnes furent aussi stérilisées grâce aux bons soins de M. FRICK, Ministre de l’intérieur du Reich à partir de 1934, promulguant des « centres de consultation pour la protection du patrimoine génétique et de la race », avec des sessions de mise à jour pour les médecins, associant côté scientifique et propagande, développant l’Eugénisme comme discipline médicale fondamentale, avec de sévères contrôles de connaissance.

Enfin, les 8,9 et 10 janvier 2003, le premier congrès de l’Encéphale qui, pour ses organisateurs, « sera désormais le rendez-vous annuel des psychiatres français cliniciens, chercheurs, thérapeutes, quelles que soient leurs références théoriques, leurs axes de recherche, partageant un même souci : travailler en mieux au service des patients », débutera à 14 heures le 08 janvier par « Escitalopram : nouvelles données, nouvelles pratiques », symposium satellite Lundbeck, se poursuivra à 16 heures 45 par un Symposium Satellite Janssen Cilag « critères de choix d’un antipsychotique », la plupart des sessions étant soutenues (organisées ?) par les laboratoires… Par exemple, « évaluer un traitement antipsychotique », soutenue par Sanofi-synthélabo, ou « après la dépression, le retour au plaisir », soutenu par Pfizer. Bien sûr, une conférence, le soir à 19 heures, traitera de génétique, éthique et psychiatrie.

Eichberg, le 5 avril 1944

Monsieur,

Suite à notre télégramme d’aujourd’hui, je vous informe par la présente que le 04 avril 1944, dans notre institut, votre fils, le patient Hans H., né à Stuttgart le 23 janvier 1909 a été libéré de sa maladie incurable par une mort sereine ».

Heil Hitler, Pour le directeur…

Le Docteur Conte, secrétaire d’état à la santé a institué une commission du Reich pour le recensement des maladies génétiques graves et à caractère héréditaire, par décret du 18 août 1939, et, à l’automne 1939, le programme d’extermination à débuté, pour les malades atteints des maladies suivantes

  1. schizophrénie

  2. épilepsie

Au total, 50 % des patients chroniques hospitalisés dans les asiles allemands passèrent aux chambres à gaz.

DEUXIEME PARTIE

Psychiatres, vous êtes cernés

« Le progrès, trop Robot pour être vrai »

Jacques Prévert

Il y a quelques années, une campagne de publicité américaine définissait une molécule antidépressive (PROZAC) dans un livre devenu célèbre comme la pilule du bonheur. Cette histoire est significative du délire scientiste auquel nous sommes confrontés…

Le bonheur est mo-lé-cu-laire !… L’étape suivante est de financer des recherches sur l’action possible de molécules proches de la précédente, sur certains comportements sociaux, tels l’agressivité et les comportements d’affiliation, expériences portant sur des sujets indemnes de tout antécédent personnel ou familial de trouble mental… C’est l’expression la plus achevée d’un programme de dissection pharmacologique des comportements humains et de modifications de certaines formes de comportement social… Il n’est pas indifférent que ces phénomènes, touchant à la production chimique du bonheur et du conformisme social, soient directement liés aux intérêts économiques des grands groupes pharmaceutiques. Derrière la folie raisonnante du délire scientiste se cache une sordide raison économique. Nous, les Psychiatres, sommes plongés dans un bain d’informations partiales, constituant un véritable délire étiologique et génétique. Ce bain, à la mousse abondante, se présente sous formes d’abstracts, de synthèses de réunions dites internationales, de compte-rendus résumés d’intervention et de colloques, dont la réunion de l’A.P.A. réalise le must. C’est un bain de données souvent raccourcies, condensées, disparates, éventuellement contradictoires entre elles. Il existe en général, comme une sorte de « chapeau » au recueil, un article prétendument éthique qui attire notre attention sur la nécessité d’une pensée critique. C’est une forme de dénégation, qui susurre « restons critiques » afin qu’il soit bien entendu qu’il n’est pas question de l’être. Car l’essentiel est dans la mousse du bain. Cette mousse abondante vise à nous persuader par imprégnation que les comportements sociaux et donc les troubles psychiques sont causés par des altérations du génome.

La schizophrénie et les dépressions – il faudrait dire « les maladies dépressives » – sont des cibles privilégiées. Chaque jour nous amène les résultats de travaux apportant la preuve de la causalité génomique de ces troubles. Peu importe que les gènes en question, les mécanismes d’action, les types d’expression phénotypiques des gènes, les loci eux-mêmes, soient variables et contradictoires, d’un travail à l’autre. Peu importe que les travaux soient, de façon habituelle, basés sur de faibles nombres de cas, que les règles déontologiques de la recherche scientifique, notamment en ce qui concerne les extrapolations, soient souvent bafouées. Peu importe, surtout que les articles originaux dont sont extraits les résumés, puissent être plus prudents dans leurs conclusions que les quelques phrases qui en sont issues. L’important est dans le bain moussant qui nous amène, à l’insu de notre plein gré, à croire, que les causes des désordres mentaux sont connues ou connaissables prochainement.

Au plan de la recherche, la génétique du comportement humain tient la vedette. La pensée, la personnalité, l’ensemble du comportement humain seront bientôt élucidés, grâce au Projet Génome Humain. Déjà, on aurait cru identifier « un gêne du bonheur », « un gène de la quête d’expériences nouvelles » ; le « gêne de la timidité » n’en aurait plus pour longtemps à se cacher. Quant au « gêne de l’homosexualité » il serait d’ores et déjà observé de très près sur la mouche Drosophila Melanogaster ou, plus précisément, sur la portion d’A.D.N. q 28 de son chromosome X, l’extrapolation à l’homme, ou à la femme, n’étant plus qu’une question de temps, ou plutôt de « période », chose chronométrique de causalité génomique.

Nous sommes là dans la construction d’un Mythe, et le cœur de ce Mythe est que va être trouvée la réponse à la question de la substance de la Pensée : ce sera une protéine, n’en doutons pas ! N’en doutons pas ! Insidieusement ce mythe (respectable en tant que tel ; utile dans sa confrontation à d’autres Mythes sur la genèse des comportements humains) vient à s’imposer comme Norme. C’est là qu’il devient délire scientiste. Et c’est sa diffusion par le vecteur des productions des laboratoires pharmaceutiques qui le constitue dans sa nuisance économique, éthique et intellectuelle…

Contrairement à ce que prétend un ouvrage intitulé « la schizophrénie – recherches actuelles » publiée chez Masson, mais distribué généreusement auprès des psychiatres par les laboratoires Lilly, il n’y a pas de consensus sur l’hypothèse neuro-développementale…

Il s’agit en fait d’un axiome, caché derrière une expression politiquement correcte.

Jamais la psychiatrie, aussi bien de service public que dite libérale, n’a été autant sous l’influence des laboratoires pharmaceutiques. Cette influence est directe, par les journaux reçus quotidiennement par chaque psychiatre. Nosographie selon le modèle D.S.M., Etiologie Génétique et Nouvelles Molécules sont le triangle du contenu, chaque sommet renforçant les deux autres.

C’est la forme élaborée du Mythe, qui s’appuie sur et produit les divers rituels (le bain moussant) : visites, graphiques, résumés… L’organisation économique, bien consciente de l’intérêt des rites commensaux et de l’hédonisme touristique, organise annuellement une grande visite (de New-York par exemple), au moment du congrès de l’A.P.A. Les psychiatres y courent tous frais payés, par centaines, s’abreuver à la source du Mythe.

On est là, en plein, dans la déclinaison psychiatrique de la mondialisation libérale. L’utilisation par les laboratoires pharmaceutiques de la génétique comme programme (et non comme code), réintroduit dans les systèmes vivants et sociaux une hétéronomie, soit un gouvernement de nos systèmes par un élément extérieur, non soumis aux régulations des processus d’autonomie. Ceci vient heurter de plein fouet l’idée qu’un système social (l’individu, la famille, un groupe social…) est essentiellement autonome, auto-organisé.

Si le gène programme l’individu, la famille, le comportement social en général, alors ces systèmes ne sont plus autonomes, mais hétéronomes.

Alan Joxe (« L’empire du chaos »Syrus 2002) y voit un lien avec l’hétéronomie politique actuelle de la domination impériale : nos sociétés sont sous la domination du double empire politico-militaire et économique des grandes entreprises mondialisées.

Dans le champ de la psychiatrie, cette hétéronomie vient effondrer la construction sociale des autonomies, qui porte les noms de Psychothérapie institutionnelle Psychanalyse, Systémie, et Psychiatrie Sociale de secteur. La manière dont le fou sera soigné se décide ailleurs, au sein des laboratoires pharmaceutiques, au travers du Mythe D.S.M. – génétique – Nouvelles molécules.

Conférence de F.M.C. pour généralistes : un Psychiatre, rémunéré par le laboratoire, énonce : le T.O.C. existe ; sa cause est génétique ; son traitement est le Zoloft !

Cette hétéronomie a des conséquences pragmatiques dont la moindre n’est pas la majoration du contrôle social par le biais d’une politique moléculaire de réduction des comportements déviants : gens d’en bas, restez-y !

TROSIEME PARTIE

LE PROGRAMME OU LA PROMESSE

  1. La famille A consulte pour Marc, 17 ans, qui présente des crises de violences, auto et surtout hétéro-agressives, clastiques, à la maison surtout, mais aussi à l’extérieur – notamment à l’école – ainsi que des fugues, une toxicomanie au Haschich, et un retrait affectif. Ils sont adressés par un psychiatre du Centre de Soins pour Adolescents. Marc a déjà été suivi en pédopsychiatrie à l’âge de 9 ans, puis à l’âge de 13 ans, pour un bégaiement et des troubles scolaires.

La famille – l’unité de vie – de compose de Jacques 41 ans, actuellement au chômage, Mireille 37 ans, femme au foyer et de 4 enfants.

Marc, l’aîné, 17 ans, en première en lycée privé, n’est pas le fils biologique de Jacques dont il porte toutefois le nom

Laure 12 ans en cinquième )

Marie 10 ans en C.M.2. ) Enfants biologiques du couple

Kévin 6 ans C.P. )

Lorsqu’ils viennent au premier rendez-vous, la père a trouvé un contrat à durée déterminée. Laure est hospitalisée en médecine pour un syndrome abdominal, Marie est « lisse », ne montre pas d’émotion ; Kévin est très turbulent, Marc distant et lointain, les parents alternant colère et abattement. Tout le monde souffre. La mère pourrait fait une T.S. Surtout, à une question sur les théories explicatives qu’ils se donnent des troubles présentés/occasionnés par Marc qui « trouble la sérénité de la famille » ; il exposent quatre réponses auxquelles il croient :

  • l’origine de Marc

  • la faiblesse congénitale de Mireille

  • la faiblesse de Mireille liée à son histoire

  • l’autoritarisme de Jacques

10 séances ont eu lieu, étalées sur deux années, Marc vient, à la deuxième séance nous dire qu’il ne reste pas et ne reviendra pas. Les autres enfants sont alors remerciés par les thérapeutes et le travail se poursuit avec Jacques et Mireille, couple parental, à partir du troisième rendez-vous. De question circulaire en question circulaire, l’objet flottant, cette thérapie que construit les entretiens, va nous faire visiter des thèmes, des questions, des lieux de pensée sur la famille et le couple.

Les théories du problème renvoient aux débats éducatifs entre Jacques et Mireille.

« Marc pousse le bouchon, et ma femme ne tient pas. Elle se fait toujours rouler dans la farine ».

98

73

67

67 70

Jean 37 Mireille

41 Jacques

Dominique

17 12 10 6 Marc Laure Marie Kévin

FAMILLE A

« Mon mari est trop dur avec Marc. Avec un ado, il faut négocier, lâcher, et il ne lâche jamais rien ».

« Pendant les vacances, je lui ai mis un coup de pied au cul ! »

« Je t’ai dis : essaie de ne pas le taper »

« Tu l’as dit devant lui »

On peut alors croiser les génogrammes et les modèles éducatifs reçus. Chacun connaît bien ceux de l’autre, qui complète mais ne contredit pas.

Mireille est fille unique. Ses parents sont à la retraite. Ils dirigeaient un centre de vacances pour enfants, ouvert toute l’année. Le Père (Grand-Père Maternel), 67 ans est fils unique, la mère (grand-mère maternelle) a 73 ans, et « est pratiquement fille unique », son unique sœur était tôt décédée dans la prime enfance. Une arrière-grand-mère maternelle de 98 ans vit encore.

Pour Jacques, chez Mireille c’était – et c’est encore – « des principes, pas de manque et un mépris de l’homme ; une famille de femmes où tout est régi par et pour les femmes, et l’amour physique un péché ». « L’enfant est précieux, unique » il sait tout du couple parental qui ne doit rien lui cacher, mais il ne doit rien cacher non plus « on ouvre ses affaires ». Mireille ajoute que l’enfant est prioritaire sur le couple et qu’il est tout pour sa mère.

Jacques est le deuxième d’une fratrie de cinq garçons, une famille parisienne. Le père (grand-père paternel) 70 ans et la mère (grand-mère maternelle, 67 ans, sont aînés et troisième de fratrie de quatre (deux frères ont d’ailleurs épousé deux sœurs). La grand-mère paternelle très malade (cancer) mourra pendant les premiers mois de la thérapie. Jacques et son frère aîné ne sont pas enfants biologiques du couple (ils ne sont pas frères biologiques entre eux). Jacques ignore ses origines, sait seulement qu’il a été adopté « jeune ». Si Mireille note le côté strict de l’éducation qu’il a reçu, le respect absolu dû au père, elle est surtout sensible à l’aspect « c’est le couple d’abord, puis les enfants », à table par exemple. Et puis le couple est très opaque, reste mystérieux pour Jacques qui insiste sur les valeurs chrétiennes et la richesse de sa famille d’origine.

Ils sont d’accord sur l’opposition qui leur est présente entre le Jardin Secret et l’Obligation de Transparence.

Le génogramme nous permet d’évoquer (de construire) les ressemblances des quatre enfants :

Kévin : à son père, et un oncle paternel, Dominique (non biologique donc)

Marie : à sa mère et au même oncle paternel

Laure : à son père et à son arrière-grand-père maternel

Et Marc : à sa mère et son grand-père maternel,

à son père biologique,

et à cet oncle paternel Dominique (doublement non biologique).

Des modèles éducatifs, nous allons visiter le jeu relationnel et la position de Mireille dans sa famille. « Je ne peux pas me couper complètement de mes parents », qui viennent alors chez Jacques et Mireille en l’absence de Jacques susurrer à l’oreille de Mireille que, peut être, il a une attitude trop tendre envers ses filles, mais qu’il est trop dur envers Marc, et qu’il convient que Mireille corrige en lui donnant de l’argent en cachette et sans condition. C’est la mère de Mireille qui se charge/est chargée de susurrer, comme elle susurrait, pendant l’enfance, à Mireille, tout ce qu’elle reprochait à son mari.

Alors, un peu d’histoire, quelques évènements : Jacques, parti de Paris à 20 ans, est étudiant en E.P.S. dans l’Ouest de la France, même une vie « fêtarde », vient en vacances d’hiver en Savoie, rencontre Mireille chez une amie commune, accompagnée de Marc, un an. Mireille vit chez ses parents, a eu une liaison tumultueuse avec Jean, garçon très violent, qui la quitte lorsqu’elle est enceinte. Les parents de Mireille lui avaient dit « te marie pas, et si Jean ne reconnaît l’enfant qu’après la naissance, il portera notre nom ». Ce qui fut fait. Marc, fils légal de Jean portait le nom de sa mère et de ses grand-parents-maternels. Jacques, présenté à Mireille par cette amie, qui lui en vantait les mérites depuis plusieurs années, est attiré, dit-elle, par sa fragilité et sa beauté. Et elle, dit-il, trouve en lui authenticité et gentillesse. Très vite, ils décident de faire couple… et famille puisqu’il y a Marc. Le père biologique se manifeste alors quelque peu, casse la figue à Jacques puis disparaît de nouveau. Jacques trouve du travail, ils s’installent. Lorsque Jacques et Mireille décident de se marier, Marc a 9 ans, n’a jamais vu Jean. Jacques décide de l’adopter. Mireille trouve l’adresse, écrit à Jean de renoncer à ses droits paternels. Ce qui est fait en mairie. Mariage et adoption donnent à Marc et à Mireille le nom de A. « Comme Laure et Marie », nées entre-temps. C’est à cette époque que Marc est suivi pour la première fois en pédopsychiatrie. Les parents de Mireille sont furieux. Déjà, ils n’avaient pas apprécié que leur fille et leurs petits-fils, élevés « comme deux frères et sœurs » les quittent. Les relations se tendent de plus en plus entre Jacques et ses beaux-Parents, jusqu’à une crise majeure ou intervenant dans une réprimande sur Marc, le beau-père de Jacques le menace avec une lame de rasoir dans une explosion extrêmement violente. Jacques est en même temps déstabilisé par une crise professionnelle. Au retour au travail, après un arrêt de trois mois pour accident il est mis dans « un placard » et subi un « harcèlement moral » assez typique de la part d’une entreprise qu’il chérissait et y avait, lentement, gravi les échelons – employé, agent de maîtrise, cadre -. Il finit par démissionner, ne portant pas l’affaire aux Prud’hommes car « la lutte sociale, j’ai pas ça dans les gênes ». Double petite-tape-sur-la tête (J.P. Gaillard) de son beau-père et de son patron ! Ces petites-tapes ramènent la position particulière de Jacques dans sa famille d’origine. Son père était chef d’entreprise, extrêmement reconnu, issu d’une famille très riche où la réussite était la règle. D’ailleurs les quatre frères de Jacques ont tous fait de brillantes études et travaillent comme responsables, dirigeant ou cadres supérieurs dans l’industrie. Jacques, lui, était « fantaisiste », a fait des études médiocres et a des difficultés financières. Ses parents n’étaient d’ailleurs pas très favorables à son mariage.

Alors, des masques, de leurs parents

Mireille, que la tache a rendue amusée, puis coléreuse, dérangée et troublée » fait deux masques « terrifiants »

  • celui de sa mère « tout et n’importe quoi »

  • celui de son père « violence, enfermement, alcool »

Jacques qui nous a maudi pour cette tache, a fait deux masques étranges, chacun associant la moitié de son père et la moitié de sa mère ; pour reconstituer l’un d’eux, il faut accoler les deux masques et on a une sorte de cône cylindre impénétrable et aveugle Côté père, il y a la lumière qui guide et l’humilité fière ; Côté mère le courage et les larmes « cinq larmes – cinq enfants ».

Au masque de sa mère, Mireille demanderait « veux-tu arrêter d’être grotesque » et pourrait entendre « je ne le suis pas ». A celui du père « quelle image veux-tu que je garde de toi », qui répondrait « pourquoi cette question ».

Au masque de sa mère, Jacques « Pourquoi n’avoir jamais pu communiquer comme nous l’aurions voulu » et il entendrait « je regrette » et à celui du père « si tu avais l’occasion de repartir à zéro. mènerais-tu la même vie ? » et il obtiendrait un silence.

Notre commentaire était classique

Pour les parents de Mireille, le couple, c’était 1 + 1 = 2

Pour ceux de Jacques, le couple, c’était 1 + 1 = 1

Et si vous réfléchissiez à notre pensée, à nous thérapeute « le couple, c’est 1 + 1 = 3 ».

Ils ont eu un an pour réfléchir à cela, pour faire diverses « disparitions » en couple et fabriquer des représentations métaphoriques, chacun de lui-même et du couple.

Au bout de cette année, les nouvelles sont plutôt rassurantes pour les thérapeutes :

– Marc a travaillé cet été. Il redouble mais il n’y a pas eu de problème majeur à l’école. A la maison, il y a bien quelques accrochages…

– Jacques a retrouvé un emploi, il a été licencié, se bat aux Prud’hommes « malgré les gênes » et a re-retrouvé un emploi.

Ils ont fait des objets pour se représenter chacun :

Mireille : une clef, un brin de lavande et un coquillage posés sur un livre

Jacques : sur un socle, un gros corps de bonhomme, surmonté de deux petites têtes, l’une anonyme, l’autre colorée et surmontée d’un chapeau.

Représenter le couple leur a été difficile. Ils proposent verbalement, lorsqu’une chaise entre eux, porte le couple :

Mireille : deux petits personnages, de couleurs vives, retenus par un élastique

Et Jacques : un bateau effilé

……

LE PROGRAMME OU LA PROMESSE

En ré-écrivant cette thérapie, je pensais d’abord à Stephen Jay Gould et à Peter Wilson (« Un hérisson dans la tempête » et « L’homme, primate prometteur », pour admirer la flexibilité du comportement comme caractéristique de l’espèce humaine, avec cette indépendance relative par rapport à tout programme génétique. Si l’évolution biologique des espèces est Darwinienne dans ses variations. (la sélection naturelle qui opère sur des variations aléatoires), l’évolution culturelle de l’espèce humaine est Lamarckienne, les découvertes d’une génération se transmettant à la suivante par l’écriture, l’enseignement…

L’évolution génétique ne cesse de se ramifier : si deux familles sont devenues distinctes, elles ne s’amalgament plus.

Anastomose et transmission sont très répendues en évolution culturelle. De là naissent de nouveaux modèles inventés à partir de ce qui a été transmis/perçu/reçu. Hanna Arendt parle de la Pluralité, comme condition de l’homme en tant que tel, de cette présence constante d’Autrui.

Alors : questions circulaires qui mettent en scène cette Pluralité.

Dans ce tourbillon, ce que nous demandent ces gens c’est « comment commencer quelque chose » ? » Ils me font la confiance de me laisser supposer que nous partageons, dans cet espace inter-humain, l’idée que l’homme c’est ce qui permet que quelque chose commence (Arendt et Augustin : qu’apparaisse du neuf).

Wilson et Gould encore : Notre système humain de parenté est le fruit d’une intersection non-biologique entre deux relations biologiques fondamentales, le lien primaire mère-enfant et le lien de couple adulte mâle/adulte femelle. D’autres primates fondent leur organisation sociale sur l’un ou l’autre de ces liens, mais ne les combinent pas. L’intersection, des deux est un principe abstrait, et l’organisation sociale humaine repose sur une règle structurelle, non biologique.

On voit bien, par exemple chez les A. comment la position de la femme, ici de Mireille, peut être difficile, à jouer simultanément le rôle de partenaire et de mère. On va simplement supposer que si elle garde une des fonctions en réserve, en suspend, elle produit quelque signe indiquant un comportement futur. Wilson dit « Une Promesse ».

Les affaires humaines sont fragiles, par une double imprédictibilité : je ne peux jamais garantir ce que je serai demain, et les conséquences d’un Acte, d’une Parole sont imprédictibles. Alors, la Promesse permet quelques îlots de prédictibilité. Elle s’oppose à la domination de soi et au gouvernement d’autrui (Arendt), c’est à dire à l’idée de programme.

Par exemple dans une statue vivante illustrant leur couple, si la main droite de Mireille semble tenir Jacques à distance d’une étreinte, sa main gauche serre la main droite de Jacques et les regards se croisent.

Une sorte de rêverie me faisait entendre ensuite Marika Moisseef (« Enjeux anthropologiques de la thérapie familiale avec les adolescents »). Parenté, parenté…

Distingue, me murmure-t-elle Parenthood et Kinship, oui, oui, il n’y a pas qu’à A.P.A. qu’on parle anglais. Disons, si tu veux, fonction nourricière et ordre filiatif. La première permet d’être considéré comme parent d’un individu à travers son nourrissage alimentaire, éducatif, affectif. Le second repère la position de tout individu au sein d’une grille, variable d’une société à l’autre, pré-existe à tout enfant particulier. L’articulation des deux se fait quand d’enfant, le sujet devient enfant-de, passant d’une dépendance de survie à une dépendance d’identité sociale.

La succession des générations est une translation des fonctions : enfant-de -> parent d’enfant-de -> parent-de-parent d’enfant-de -> ainsi de suite, Marc mais aussi Jacques, son père adoptif hésitent à passer d’enfant à enfant-de, d’enfant-de à parent-d’enfant-de, tentent, ou ont tenté deux options, rester enfant tout court, et rompre les relations. Marc s’interroge, bien sûr, comme tous autour de lui, sur les rapports de son identité sociale avec son identité génétique. Mais il permet que l’histoire de Jacques et Mireille se ré-interroge, comme histoire de translation des places chronologiques et de transmissions généalogiques, avec des deux lignées, que nous leur avons souligné un jour comme l’extrême complicité des femmes d’un côté, et la puissance des préceptes moraux de l’autre.

La succession des générations suppose à chaque étape une légitimation sociale. Or, la reconnaissance d’une génération comme parents potentiels – individus ou couple – peut subir un grand nombre de ratages. Dans mon hypothèse, ces ratages sont contemporains de « petites-tapes-sur-la-tête ».

Pour l’essentiel, en apparence, chez les A., c’est « petites-tapes-sur-la-tête » se distribuent au sein de la famille élargie. Mais il n’est évidemment pas indifférent que Jacques en reçoive une aussi dans son milieu professionnel.

Nous allons illustrer maintenant comment, dans un monde où la croyance à la vérité, à la génétique, à la vulnérabilité domine, viennent de l’ensemble du corps social des petites-tapes-sur-la-tête ».

QUATRIEME PARTIE

Gens d’en bas, restez-y !

Il y a beaucoup de monde autour du couple Z qui prend contact « pour moi-même et ma femme » dit Jules. Le tuteur de Virginie, le curateur de Jules, deux Assistantes Sociales, une Educatrice parentale, les parents de Jules, la Tante de Virginie, la famille d’accueil de leurs deux enfants, trois Psychiatres (un pour Jules, un pour Virginie, un pour la mère de Jules), l’équipe du Centre Médico-Psychologique Adulte, celle du Centre Médico-Psychologique Infanto-Juvénile, le Juge des Tutelles et le Juge des Enfants.

En 2000, Jules a 28 ans, Virginie 31 ans ; ils ont deux enfants Jérôme 6 ans et Fany, 1 an et demi. Jules a ses parents, 56 ans pour le père, 60 pour la mère. Il travaille dans leur restaurant. Virginie n’a plus ses parents, et ne travaille plus depuis sa première grossesse. Ils habitent à près de 100 km du lieu de consultation.

Lorsqu’ils viennent au premier rendez-vous, l’atmosphère est franchement psychiatrique : c’est Lucien Tenembaun qui parle de « psychiatrie extérieure ». Et bien, des signes extérieurs de psychiatrie, il n’en manque pas, ni chez Jules, dont le regard s’évade souvent, ainsi que le fil de sa parole parfois alambiquée, maniérée, avec des coqs à l’âne et des barrages, et un fil

Couple Z

56 ans 60

Tante Tutrice Oncle schizo

Jules

31 ans Virginie

6 ans 1,5 an

du récit qui s’autorise à échapper à une logique banale d’enchaînement.

Ni chez Virginie., au physique poupin, rondelet, qui par moments ne comprend pas du tout les questions de l’interlocuteur, se montre sotte, écarquille de grands yeux, ne donne aucun repère temporel, mélange les générations, a un langage limité.

Bref, une grande impression d’étrangeté, de bizarrerie. D’ailleurs, ils ont été internés tous deux depuis leur contact téléphonique, lui en hospitalisation d’office, elle en hospitalisation à la demande d’un tiers dans les deux unités d’hospitalisation complète de leur secteur psychiatrique.

Leur demande est d’autant plus étrange que personne ne les envoie. « J’ai entendu parler de la thérapie familiale, il a cherché partout et a fini par nous trouver ». Si personne ne les a adressés, tout l’entour est au courant de la démarche comme quasiment de tout ce qui leur arrive. Et bien, malgré leur carrière psychotique entamée dans l’enfance (Virginie) ou l’adolescence (Jules), malgré le poids de cette psychiatrie extérieure, ils viendront régulièrement, à 100 km de chez eux, pour la dizaine d’entretiens que nous aurons pendant ces deux années. Jules, Virginie, la thérapeute et les co-thérapeutes forment un système organisé par un problème. Ce problème peut s’énoncer « Jules et Virginie peuvent-ils élever leurs deux enfants ? » Ce système thérapeutique va travailler sur ce que fait l’entour pour maintenir le problème. Et, pour l’essentiel, ce que fait l’entour, c’est des « petites-tapes-sur-la-tête » qui pour Virginie se traduiraient par « Nous intelligent, toi débile » et pour Jules « Nous raisonnables, toi schizophrène ».

Entendons-nous bien : chacun autour pense agir avec la meilleure volonté du monde dans l’intérêt non seulement des enfants mais aussi de Jules et Virginie. Nous parlons là des effets pragmatiques des croyances à la vérité, à la génétique, à la vulnérabilité…

Jules et Virginie, eux-mêmes, participent à ces danses rituelles, leurs signes extérieurs de psychiatrie sont autant des éléments attirants les « petites-tapes » que des produits de celles-ci. Mais, tout de même, si Jules est schizophrène, c’est peut être bien génétique : sa mère est folle, suivie en psychiatrie. Et un frère de la mère, est sans doute schizophrène qui « a toujours vécu avec sa mère » (grand-mère maternelle pour Jules), « il ne travaille pas, mais il fait de belles peintures à la maison ».

Et puis Virginie, sa débilité est congénitale, avec ses petites dysmorphies, et l’apparition vers 12 ans de signes de retraits psychotiques. C’est bien pour cela que quand elle s’est trouvée enceinte « tout le monde voulait que j’avorte ».

Comment s’y prend l’entour pour maintenir le problème ?

Le père de Jules ne s’est pas opposé à sa femme quand elle a fait une fausse déclaration à la police sur une « pédophilie » chez son fils. Virginie étant enceinte de Fany, Jules et Virginie ont souhaité, alors qu’ils vivaient toujours chez les parents de Jules avec Jérôme, prendre un appartement. Le père ne s’est pas non plus opposé à sa femme qui refuse de voir Fany depuis sa naissance et le retard qu’elle présente…

Le Juge des Enfants a ordonné le placement des deux enfants, sur demande de Jules et Virginie lorsqu’ils sont partis s’installer à 30 km du restaurant des parents de Jules.

Jules et Virginie pensaient les voir plus souvent, mais « le couple a été rabaissé » et ils ont eu beaucoup de difficultés, il a fallu beaucoup de temps (plus de deux années) pour qu’ils les voient régulièrement.

La tante de Virginie qui l’a élevée après la mort de sa mère, puis de son père, est toujours sa tutrice. Jules dit « Virginie était considérée comme débile ». Quand Virginie rencontre Jules, sa tante-tutrice essaie de s’opposer à leurs rencontres. C’est très efficace puisque Virginie est enceinte, cache sa grossesse jusqu’à cinq mois. La tante veut la faire avorter. Virginie rejoint Jules chez ses parents. Depuis, malgré la poursuite de la tutelle aux incapables majeurs, il n’y a pas de contact, Virginie a été licenciée de l’emploi protégé qu’elle occupait chez sa tante, et celle-ci ne voit pas les enfants.

Les socio-éducatifs sont extrêmement dévoués mais « on m’enlève Fany toute petite, et on me demande de savoir faire ». Fany a un retard, notamment à la marche, et il est attribué à Virginie, même si Jules dit « elle a pas élevé Fany, elle est pas responsable qu’elle marche pas ».

Acajou est une belle expérience, qui se met en place en 2001 pour Virginie. C’est un lieu pour « des mamans, avec leurs enfants, qui ont du mal, et tout » « ils nous aident à jouer avec les enfants, tout ça ». Bon d’accord, les enfants commencent à venir à la maison et ce que font bien Jules et Virginie, c’est jouer avec eux. Mais Virginie est contente d’Acajou. Jules trouve que c’est positif pour elle et les enfants. Dommage que ça s’arrête au bout de six mois. On leur donne deux explications : une travailleuse sociale a pensé qu’il fallait un suivi S.A.V.S (Service d’Accompagnement à la Vie Sociale). et non Acajou ; et puis « c’est des caisses différentes ». S.A.V.S. ce serait un suivi individuel pour Virginie, sans les enfants, alors qu’elle en a déjà un au Centre Médico-Psychologique Adultes.

Le logement est problématique. Ils voudraient se rapprocher du lieu de travail de J. Mais on leur refuse un logement… prétextant les activités de V, qui n’existent d’ailleurs pas. Et puis qu’est-ce qu’ils en savent, aux HLM ?

Le C.M.P.I. (Centre Médico-Psychologique Infanto-Juvénile) s’occupe de faire progresser Fany : psychomotricité, orthophonie, psychothérapie. Et ça marche, d’après J et V, qui voient les progrès qu’elle fait. Mais ils ne comprennent pas pourquoi cette équipe rend des comptes à la nounou, à l’équipe socio-éducative « justice », mais pas à eux.

Comment s’y prend l’entour pour maintenir le problème ?

Evoquons quelques fonctions « petites tapes sur la tête » :

La confusion : un suivi S.A.V.S. (Service d’Accompagnement à la Vie Sociale) est prescrit individuellement à V par l’équipe socio-éducative. Du coup, on leur conseille, pour éclairer cette histoire de caisse de prise en charge, de s’adresser au Juge.

La pédophilie de J, qui s’est révélée fausse, mensongère, a servi pour que le placement des enfants soit judiciaire.

La tante de V est fâchée contre V et ne voit pas les enfants, tout en restant tutrice.

Le Langage abscons :

« Ce que le juge a dit, on n’a rien compris ».

Quand ils finissent, récemment, par rencontrer l’équipe du C.M.P.I. pour Fany, ils ne comprennent pas bien ce qui a été dit lors de la synthèse.

Les contradictions :

Au restaurant, les parents de J le laissent s’occuper seul de la cuisine et de la restauration, mais lui disent qu’il n’en est pas capable.

Concernant les enfants et le logement, une partie de l’équipe socio-éducative les pousse à demander le retour des enfants à domicile, mais sans être sûre de les faire bénéficier d’un soutien à domicile, tandis que l’autre partie les pousse à déménager sans tenir compte des enfants qu’ils ne verraient presque plus.

Hormis les « petites tapes sur la têtes », il faut isoler les entourloupes aux règles de droit, notamment sur le secret professionnel : pendant très longtemps, J et V ne sont pas invités lors des synthèses où s’échangent toutes sortes d’informations sur eux et sur les enfants. Toutes les institutions sont présentes, y compris la famille d’accueil des enfants, et l’office d’HLM est détenteur d’informations.

C’est « gens d’en bas, restez-y », à tous les étages.

2. La reconnaissance de la qualité de « Parents potentiels », c’est-à-dire pouvant soutenir le passage du lien nourricier au lien filiatif, suppose la légitimation sociale, à chaque étape de la translation des générations.

La délégitimation sociale est facilement présente. Elle est favorisée dans le corps social par la croyance en l’hérédité et la prédictivité, et elle est soutenue en psychiatrie par le Mythe :

DSM

Nles molécules Etiologie génétique

Avec des conséquences : à travers la conception neuro-développementale de la schizophrénie, qui serait consensuelle, on favorise une conception correctrice du traitement, correction d’un déficit en neuromédiateurs pour le patient (qui va alors légitimement se soucier de lui proposer un travail psychothérapique ?), correction d’un déficit de savoir pour la famille, et ce sont les techniques éducatives, ou psycho-éducatives, qui transmettent le message : « nous savants, vous incompétents » (avec le sous-entendu : « la tare est en vous »).

(Ken LOACH, dans « Family Life », nous montrait bien l’analogique du deuxième psychiatre toisant les parents tout en ne leur reconnaissant aucune responsabilité – autre que biologique – dans ce qui se passait).

La société va également fabriquer des « agents de substitution parentale » (M. MOISSEEF) qui vont s’occuper des fonctions nourricières sans s’occuper de ce qu’il y a eu mis à bas de l’ordre filiatif. Et ceci va alors se transmettre de manière transgénérationnelle, renforçant la croyance au Mythe héréditariste.

Ces conséquences ont leur pendant au sein des familles, ce sont toutes les formes de « racisme dans la famille » (Mara SELVINI).

Mais, pour l’essentiel, les couples et les familles, s’ils viennent nous voir, thérapeutes familiaux, c’est qu’ils acceptent de ne pas y croire tout à fait.

Appuyons-nous sur la thérapie des Z pour évoquer le travail alternatif de thérapie systémique.

La construction d’un espace d’intimité repose sur une série de rituels.

  • rituels de séparation en séance : ils ont pu vérifier que lorsque le thérapeute sortait pour discuter avec les co-thérapeutes, rien ne passait entre les deux sous-systèmes .

  • rituels d’espacement des séances. J : « c’est un peu loin, je ne sais pas, je ne veux pas mettre en doute vos capacités… si vous pensez que c’est bien !… mais, vous savez, j’ai pas le tempérament à discuter avec ma femme ».

  • rituels de confidentialité : là aussi, ils peuvent facilement vérifier que nous n’échangeons aucune information avec quelque système que ce soit. J et V sont notamment très étonnés que nous ignorions leurs internements.

J peut proposer des solutions à ses conflits avec sa mère (la tuer ou casser la vaisselle de collection) ou avec le juge (lui renverser le bureau dessus).

  • (et rituels d’intimité. Nous aimons bien la prescription du secret dans la formulation de M. SELVINI : « les thérapeutes nous ont demandé le secret, toujours et partout sur le contenu des séances » à toutes les personnes au courrant (et chez J/V, ça fait du monde !)

Avec J et V, tracer l’entour a été un puissant moteur d’intimité.

Les Narrations, qui s’appuient sur le questionnement circulaire, mettent en scène à plusieurs reprises l’histoire des protagonistes.

J : « faire un bébé a permis à V de quitter sa tante »

Ailleurs, V : « il veut parler à son père mais il a peur de lui faire du mal ». « C’est la première fois qu’il leur cache quelque chose ». Il s’agit d’un kyste au cerveau qui lui a été découvert, une tumeur bénigne.

A propos des évènements qui scandent ces narrations, distinguons :

– une vision conforme au Mythe scientiste : l’évènement est alors aléatoire initialement (mutations génétiques, choc traumatique) mais il a ensuite (théorie de la vulnérabilité) des effets programmables,

– une vision corollaire de la notion de fragilités des affaires humaines – infinitude et imprédictibilité – l’événement est alors ce qui arrive, ce qui est là et ce qu’on en fait : « illuminant son propre passé, il ne peut jamais en être déduit » (H. ARENDT).

Fabriquer un récit, subordonner au fil du récit les péripéties, c’est se révéler comme agent. Le questionnement circulaire illustre à la fois la pluralité des points de vue et l’unicité de chacun d’eux dans l’espace inter-humain.

L’enfance de V racontée par J, les crises avec la famille de J, les hospitalisations, les grossesses de Jérôme, de Fany, les disputes entre J et V sont des narrations de ce type dans mon récit de la thérapie.

L’utilisation d’objets flottants, notamment l’incitation des protagonistes à utiliser des métaphores, des représentations construites, favorisent aussi le dégagement, l’écart par rapport à des futurs trop prévus, perçus comme inéluctables.

Par exemple, cette maladie de J, faut-il en parler, faut-il l’opérer ? J est têtu, il dit ce jour-là : « quand j’ai quelques chose dans la tête, je l’ai pas ailleurs », et il veut obtenir du juge un pas dans le retour des enfants. Alors le thérapeute leur propose : « comme V a caché à sa famille sa grossesse, ce qui a été un moyen de quitter l’enfance, peut-être que ce kyste est pour J un moyen de quitter l’enfance ? »

On a pu aussi leur proposer de construire une échelle de sérénité sur laquelle ils pourraient monter ou descendre…

Je n’évoque pas les génogrammes, mais nous y pensons tous.

Enfin, la construction du Couple.

Comment va le couple ? Une chaise est introduite entre J et V, c’est là qu’il pourrait s’asseoir.

J : « Il s’épanouit, il est plus fort dans la vie quotidienne, il était sur une double voie, maintenant il est sur une voie unique ».

C’était une route sinueuse.

Si V a des difficultés avec l’image, verbalement, elle peut la mimer cette route, avec tous ces virages !

Tous deux regardent ce couple…

CONCLUSION

J’ai proposé ailleurs (« Mésaventures de l’Autorité ») au système Auctoritas dans la société, Père dans la famille, qui représentait jadis la loi humaine, de substituer un système Pouvoir-en-commun et Couple, aujourd’hui où l’autorité traditionnelle a disparu.

Quel peut-être le rôle dévolu à la thérapie familiale systémique ?

Je proposerais avec M. MOISSEEF que ce qui est en jeu dans une TFS, c’est la restauration d’un ordre filiatif, soit la remise en mouvement de la série des translations généalogiques. Et pour cela, le système thérapeutique (pour les Z. : J, V, la thérapeute et les co-thérapeutes) va se mettre au travail psychique sur cette « intersection non biologique du lien primaire mère-enfant et du lien de couple adulte mâle-adulte femelle » (pour reprendre la phrase de P. WILSON).

C’est au niveau de ce lien abstrait, socialement construit, que se pose la question de ce que c’est qu’être Père.

Y aurait-il une politique familiale du gène ?

Non, du point de vue d’un thérapeute familial, en acte.

Oui, du point de vue d’un psychiatre en colère ; si j’ai beaucoup aimé l’article de André PICHOT dans le Monde du 30/11/2001, « Frankenstein ou les Pieds Nickelés » (dans lequel il parle des « Pieds Nickelés de la biologie moderne ») je le trouve un peu optimiste.

Et je m’inquiète avec H. ARENDT car « ce qu’il y a de fâcheux dans les théories modernes du comportement, ce n’est pas qu’elles soient fausses, c’est qu’elles puissent devenir vraies ».

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Film 2002 long métrage

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Revue Alzheimer Actualités n° 160 01.02/2002

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Déposition au procès de Nuremberg

Protocole p. 7744 cité par « L’extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazi » Erès 2001

10. Comité d’organisation Alpes Psychiatrie Actualités

Argument de : journée du 27 septembre 2002 à Grenoble

« Génétique et psychiatrie »

11. Professeur KLEIST « Rapport sur l’asile de Herbron »

Francfort 1938

Cité par « Alice RICCIARDI VON PLATEN » Erès 2001

12. Y. CHRISTEN

« Le dialogue du gène et des synapses »

Alzheimer Actualités N° 160 01.02/2002

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« L’extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazi »

Traduction P. FAUGERAS ERES 2001

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17. J. DALERY et T. D’AMATO

La schizophrénie

Lilly Neurosciences Ed. Médecine et Psychothérapie

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18. A. JOXE

L’empire du Chaos

Ed. La Découvert

Syrus Paris 2002

19. S. JAY GOULD

Un hérisson dans la tempête

Traduction G. X. FAYON et A. GUILLAIN

Le livre de poche. Biblio essais

Grasset 1996 Paris

20. P. WILSON

L’homme, le primate prometteur

Cité In « Un hérisson dans la tempête »

Traduction G. X. FAYON et A. GUILLAIN

Le livre de poche. Biblio essais

Grasset 1996 Paris

21. H. ARENDT

Condition de l’homme moderne

Traduction G. FRADIER Agora CALMAN-LEVY Paris 1994

22. AUGUSTIN

Les Confessions G. F. FLAMMARION Paris 1997

Traduction Joseph Trabucco

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In l’Adolescence, crise familiale

C. GAMMER and M. C. CABIE

Erès Paris 1998

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26. M. SELVINI-PALAZZOLI

Le racisme dans la famille

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Jeux Psychotique dans la famille

Trad. L. HOUILLER et S. NAPOLITANO

E.S.F., Paris 1980

28. P. RICOEUR

Temps et Récit

3 vol. Poins Essais Seuil Paris 1991

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Soi-même comme un autre

Seuil. Points Essais. Paris 1996

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La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli

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32. A. CHABERT

Mésaventures de l’Autorité

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Deuil, oubli, Narration

CERAS Colloque Traumatisme et Résilience Grenoble 01/06/2002

34. A. PICHOT

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35. H. ARENDT

La vie de l’esprit

T1 La Pensée

T2 Le Vouloir

Traduction L. LOTRINGER

P.U.F. Paris 2000

36. H. ATLAN

La fin du « tout génétique » ?

INRA Editions Paris 1999

37. C. CASTORIADIS

entretien avec Francisco VARELA

in DIALOGUE

Ed. de l’Aube Paris 1999

38. A. PICHOT

L’Eugénisme

Col. Optique Philosophie

HATIER Paris 1995

39. A. PICHOT

La Société Pure de Darwin à Hitler

Flammarion Paris 2004

Résumé

En thérapie familiale systémique, nous sommes confrontés aux dégâts causés par la croyance mythique à la Vérité de l’explication génétique des troubles psychopathologiques, dégâts qui portent précisément sur l’articulation dans une famille du lien nourricier et du lien filiatif.

Cette croyance, mythe scientiste d’une nature biologique de la pensée, est organisée et diffusée par et au plus grand profit des laboratoires pharmaceutiques.
Outre qu’elle comporte toujours aujourd’hui une potentialité eugénique, elle renforce la délégitimation sociale des parents, dés lors qu’ils présentent de tels troubles.
Un travail, alternatif, constructiviste, en thérapie familiale, peut permettre une restauration des capacités de résistance à ces dégâts.

Deux thérapies illustrent ces hypothèses.

Auteur : Dr Alain CHABERT

Psychiatre, Thérapeute familial

C.H.S. de la Savoie

73011 BASSENS

Tel.0479603031
Fax. 0479603138

e.mail esa@chs-savoie.fr