Répétition et/ou changement, Rêve de famille

REPETITION ET / OU CHANGEMENT

REVE DE FAMILLE

Contexte de la Seance

Il s’agit d’une séance unique.

Le rendez-vous est pris par la patiente identifiée, âgée de 27 ans, hospitalisée à la suite d’une Tentative de suicide. C’est son psychiatre, Docteur M. qui les adresse. La patiente a fait auparavant plusieurs tentatives de suicide en région parisienne. Elle est depuis peu en SAVOIE avec son concubin. Sur la fiche téléphonique, on peut lire :

Symptômes ou problèmes à l’origine de l’appel :

Je suis en train de porter plainte contre mon père pour inceste.

Solution déjà essayée pour résoudre le problème :

J’ai fait une Tentative de suicide pour l’instant.

Elle attend la visite de la police qui doit enregistrer sa plainte.

La famille se compose outre la patiente identifiée :

– Du père 63 ans, Retraité

– De la mère 56 ans, Aide Soignante

– D’une fille aînée Sophie 34 ans, mariée, sans enfant, Secrétaire

– D’un fils cadet Franck 25 ans, Opérateur Informatique, célibataire.

Les parents sont en instance de divorce, séparés depuis 3 ans. Les faits d’inceste remontent à l’enfance et à l’adolescence de la patiente mais aussi de sa soeur et de son frère.

A l’exception de la patiente, ils vivent tous dans la région parisienne (77, 91,93,…assez dispersés donc).

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L’entretien

Sont présents la mère et la patiente identifiée.

Thérapeute : Comment s’est fait la demande d’entretien ?

Cette mère : C’est « ma fille » et son psychiatre (Docteur M.) . Ma fille est a l’origine du problème avec sa démarche.

Cette fille : Ma mère a montré ma lettre de plainte à Sophie, puis Sophie l’a montrée à Franck. Depuis Sophie et Franck ne veulent plus parler à ma mère.

Cette mère : Sophie est allée avec elle (la désignant) chez les inspecteurs pour la plainte.

Thérapeute : Qui a parlé du problème ? Avec qui ?

Cette mère : Sophie a parlé du problème depuis juin 1993. Franck ne veut pas en parler. Celle-ci en parle depuis 6 ans. Surtout à l’intérieur de la famille : à Sophie qui m’en a parlé ; puis elle a en parlé à son copain ; et aussi à un Psychiatre … Elle a fait plusieurs tentatives de suicide à cause de cela. Elle a déposé plainte en octobre 1993.

Thérapeute : Quels effets cela a eu ?

Cette mère : Au début Franck avait honte de regarder sa soeur, maintenant ça va mieux. La plainte l’a rapproché de Sophie et Franck. Ils sont bien frères et soeurs.

Cette fille : Mais elle a coupé ma mère de Sophie et Franck.

Cette mère : Ils m’en veulent parce que j’ai parlé de ce problème dans ma procédure de divorce. J’aurais du voir ce qui se passait. Je n’aurais pas dû en parler à mon avocat ; mais je ne me suis jamais douté de où il est allé avec eux.

Cette fille : C’est de l’hypocrisie (ton assez doux mais nerveux)

Cette mère : Je peux jurer que je ne sais pas ce qu’ils ont endurés.

Cette fille : Je ne suis pas fâchée mais elle aurait dû s’en apercevoir ; des gens s’en sont aperçus ; et puis elle connaissait le caractère du père. Si Sophie et Franck sont fâchés, c’est peut-être qu’ils se sont rappelés de tout avec ma démarche.

Thérapeute : Que pensent Sophie et Franck ?

Cette fille : Sophie pense que je dois crever l’abcès avec ma mère. Sophie est suivie par un Psychiatre, prend du LAROXYL ; Franck est très bloqué.

Cette mère : Je n’ai aucun contact avec Sophie et Franck. J’ai appris le problème par le Psychiatre qui suit ma fille il y a 3 ans. C’est pour ça que j’ai divorcé. Elle m’a reproché de ne pas avoir réagi à ce qu’elle montrait… robe déchirée, mal dans sa peau, avances du père à sa marraine…

Cette fille : Ma mère était au courant depuis l’histoire de la robe et un coup de téléphone de Sophie qui m’a dit « dis à maman » puis qui a dis à maman « le père a déchiré cette robe.

Cette mère : je dormais…

Cette fille : Sophie a subi des trucs entre 11 et 13 ans, peut être même quand je suis née.

Thérapeute : Est-ce-que votre fille s’en veut d’avoir déclenché une tempête ?

Cette fille : J’ai reçu une lettre du père. Il ne sait pas encore que j’ai porté plainte. Il voudrait me voir, il me reproche de ne pas lui écrire depuis des mois. C’est la première lettre qu’il m’écrit depuis 3 ans.

Cette mère : Ma fille se sent responsable des réactions de Sophie et Franck. Et puis elle dit « Je vais envoyer un homme en prison ». Je ne comprends pas cette zizanie.

Thérapeute : (à cette fille) : Comme si de votre parole seule, toute tempête était venue !

Cette mère : Le père a écrit cette lettre par rapport au divorce, par peur qu’on lui reproche de ne pas s’occuper de ses enfants.

Thérapeute : Vous avez dit que Sophie pense que vous devez vider l’abcès entre vous ? Comment le faire ?

Cette mère : Dis le si ça te fait du bien, je t’en voudrais pas :

Mon fils m’a dit des choses dures.

Cette fille : Je ne peux pas être méchante.

Thérapeute : Q’aurait dû faire votre mère ?

Cette fille : Voir que c’était un obsédé, un incestueux. Il y avait des choses bizarres; on ne traite pas sa fille de putain.

Cette mère : C’est maintenant que tout le monde dit que c’était bizarre. J’aurais dû voir, mais ça fait 5 ans que je vois une Psychologue. J’ai pris plus d’assurance.

Cette fille : C’était pas un vrai père ; jamais un câlin, un jeu avec les enfants.

La mère aurait du penser à ce qu’il nous faisait.

Il se promenait nu.

Il ne nous a pas battu. Seulement quand on refusait.

Sophie et Franck ont dit que c’était de la faute à la mère si j’ai fait une tentative de suicide.

Thérapeute : Est ce que vous pensez qu’il peut y avoir amélioration entre Sophie et Franck et votre Mère ?

Cette fille : Sans doute après le procès. Ma mère me reproche de parler à Sophie et Franck.

Thérapeute : Vous avez un double rôle majeur : Enoncer ce qui doit l’être et réconcilier tout le monde !

Cette mère pleure.

Cette fille : J’envoie mon père en prison.

Thérapeute : Non, c’est le juge qui le fera, si cela a lieu. Votre rôle de dénonciation vous a été attribué par les autres, notamment Sophie et Franck.

Est ce qu’il y avait prescription pour eux ?

Cette fille : Ils le haïssent.

Thérapeute : Mais ils n’ont rien fait. Ils vous mettent en première ligne. Vous êtes porte parole.

Cette fille : Ma mère est d’accord sur la plainte, mais je me demande toujours si je dois la retirer.

Thérapeute : Cette parole que vous portez, vous a un peu échappé ; de toutes manières, l’affaires court.

La justice est le porte parole, vous êtes au bout de votre rôle.

Thérapeute (à cette mère) : Que pensez vous de votre fille ?

Que pense t-elle de vous ?

Cette mère : Bien fragile, pas capable d’aller au bout.

Cette fille : Mais j’ai beaucoup changé, pour prendre cette décision.

Cette mère : Elle doit me trouver faible.

Cette fille : « Tu as changé, tu pleures moins qu’avant, tu es devenue forte ».

Cette mère : J’ai toujours tout encaissé.

Thérapeute : Vos enfants vous voient encaisseuse ?

Cette fille : Maintenant Sophie et Franck la trouvent capable de se débrouiller. Avant elle était sous l’influence de son mari. Elle aurait dû mettre le Holà, taper du poing sur la table.

Thérapeute : Est ce que votre mère pense que rien ne pourra faire que les enfants ne gardent quelque chose contre elle ? Comment va-t-elle faire avec ça ?

Cette fille : Elle va y penser beaucoup.

(Le thérapeute se lève).

Cette mère : Est ce qu’il faut que je reste quelques jours de plus à CHAMBERY pour être là lorsque ma fille sera interrogée par la police ?

Cette fille : Je veux que tu restes.

Cette mère : J’ai beaucoup de choses à faire pour le divorce.

De l’autre Côté du miroir (sans tain)

Ici ce n’est pas une retranscription littérale car nous n’avons pas d’enregistrement ; plutôt une mémorisation, une écriture de nos échanges, de notre travail. Ce contrepoint a lieu avant le début de l’entretien, pendant les interruptions d’entretien nombreuses, à l’initiative du thérapeute ou du co-thérapeute, et après l’entretien.

A) Voici donc cette fille qui souffre des relations incestueuses qu’à eu son père avec elle. C’est l’inceste qui cause les tentatives de suicide.

B) Certes, mais sans doute surtout elle souffre de l’attitude de sa mère complice…

C) Consciente ou inconsciente ! Elle sait probablement mais ne dénonce pas. C’est le silence de la mère qui cause les tentatives de suicide.

A) Mais il faut distinguer la dernière tentative de suicide des précédentes. Celle-ci a lieu après le dépôt de la plainte.

B) Et la réaction de Sophie et Franck qui cessent à ce moment là toutes relations avec leur mère. Cette fille se sent responsable et accusée par les autres.

C) Alors on a le cercle suivant : Elle dénonce, ce qui brouille Sophie et Franck de sa mère, ce qui éloigne sa mère d’elle ; elle se suicide pour éviter le procès, sa mère se rapproche d’elle, elle va mieux, est davantage en colère contre le père, décide de nouveau de dénoncer, etc.

A) C’est une crise que provoque la décision de cette fille de porter l’affaire en justice.

B) Jusque là, tout le monde respecte le secret de famille. Tout le monde le sait, mais il ne faut pas le dire.

C) C’est l’intervention d’un extérieur au système, l’ami de cette fille qui met la crise permettant le changement.

A) Et les rétroactions de Sophie, Franck, la mère, sans doute le père, essaient de l’empêcher…

B) On découvre que la mère précède la fille sur la voie de la dénonciation. En fait la mère écrit à son avocat 3 ans avant la plainte de cette fille.

C) Dans ce cas la plainte est plutôt une tentative qu’elle fait pour protéger sa mère, pour la dédouaner de la dénonciation du secret de famille. « Ce n’est pas elle, c’est moi qui dénonce ».

A) Et elle se suiciderait devant l’échec de cette protection vis-à-vis de Sophie et Franck ?

B) Prenons le référent. Si le Docteur M. nous envoie ces gens en consultation familiale, c’est qu’à son avis la position de la mère est plus complexe que cela.

C) Ce que cette fille peut reprocher à sa mère c’est de ne pas choisir les enfants contre le mari.

A) C’est même le contraire qu’elle fait : Si elle parle de l’inceste, c’est dans sa procédure de divorce.

B) C’est à dire dans une sorte de jeu avec son mari.

C) Il en est de même pour lui. Il écrit à sa fille dans le cadre du divorce ; alors qu’il est évidemment au courant de la dénonciation, il ne s’en défend pas.

A) Ce serait un couple épris de lui même et de son conflit. Ce jeu aurait pu continuer longtemps.

B) Sauf qu’à un moment ; manoeuvre de la mère qui prend un avocat.

C) Auparavant elle avait pris un Psychologue. On peut penser que le mari a interprété cela comme un désir de séparation, de fin du jeu.

A) Je serai curieux de savoir ce qu’a fait le mari après le coup de la Psychologue et ce qui a poussé Madame à prendre un avocat.

B) L’avocat a pu penser et heureusement qu’il l’a fait – de façon linéaire -Madame, vous êtes avec un salaud, quittons le !

C) Les Psychiatres de cette fille ont renforcé sans doute l’action du monde extérieur sur cette famille.

A) On peut dire aussi que, bizarrement, ces enfants y tiennent, à cette famille.

B) Sinon, on ne comprend pas pourquoi Sophie en particulier ne dénonce pas, pourquoi aussi ils ne se brouillent avec la mère qu’après la plainte de leur soeur.

C) La seule chose que nous pourrions faire, ce serait peut-être de discuter avec les 3 enfants de leur attachement à cette famille, c’est à dire des qualités, de cette famille, malgré les apparences.

A) Quelle identité elle leur donne ? Oui si nous les rencontrions…

B) Nous pourrions chercher l’image, le lien, quelque chose comme une reconnaissance…

Le commentaire fait à la patiente et à sa mère a été le suivant :

– Tout d’abord je voudrais vous féliciter toutes deux pour avoir aborder ces questions, ce qui suppose beaucoup de courage, pour toutes les deux, mais aussi de la solidarité malgré ce qui reste dans les têtes à chacune.

– Concernant votre question, Madame, (différer ou non votre départ) je ne peux pas répondre à votre place. Vous seule pouvez décider ce qui est le plus important : Soutenir votre fille ici, ou lui montrer que vous avez confiance en elle et pensez qu’elle est assez forte maintenant pour soutenir sa démarche toute seule. Vous ne pouvez répondre que seule, en tenant compte évidemment de ce que dit votre fille.

– Au delà des grandes souffrances de chacun dans cette famille et on peut imaginer celle des absents, que chacun peut travailler en thérapie individuelle, au-delà de leur addition, il y a une souffrance du groupe, qu’on voit à travers vos relations à toutes les deux, et aussi dans les relations entre frère et soeur et maman ; ceci serait notre travail à nous. Je ne vois pas concrètement comment vous aider, mais on peut essayer de le faire et je souhaiterai alors rencontrer dans quelques semaines, ou quelques mois, pour un autre entretien : Vous, Mademoiselle, ainsi que Sophie et Franck.

Je vais donc vous charger, puisque c’est votre rôle habituel dans la famille, rôle évidement un peu lourd – de rendre compte à Sophie et Franck de l’entretien d’aujourd’hui – et de transmettre ma proposition.

La mission de réconciliation générale que vous vous êtes donnés, ne paraît pas pouvoir aboutir pour l’instant. Peut-être pouvez-vous la mettre dans un petit tiroir ?…

Comment savons-nous ce que vous croyons savoir ?

Le « bon sens » et l’épistémologie classique posent qu’il est possible de découvrir une réalité objective, indépendante de l’observateur. Ce qu’ ont montre des travaux de physiciens comme Erwin SCHRODINGER, ou des biologiques comme Humberto MATURANA ou Francisco VARELA c’est que, non seulement l’observateur, ou système observant, modifie l’objet d’observations, mais en quelque sorte le détermine. A la connaissance comme recherche d’une représentation iconique d’une réalité supposée exister indépendamment de tout sujet observant, et au solipsisme – c’est à dire la croyance qu’aucun monde n’existe hors de l’esprit pensant du sujet, il convient de substituer l’idée de connaissance comme ce que l’organisme construit dans le but de créer un ordre dans le flux de l’expérience.

Ce que nous appelons du nom barbare de constructivisme est la tentative d’élaborer des modèles de connaissances avec lesquels nous puissions construire à partir de notre propre expérience, un monde plus ou moins fiable.

A ce niveau, il faut établir la différence entre ce qui convient (to fit, en Anglais, ou au jeu de Bridge) et ce qui correspond : Lorsque vous étiez enfant, peut-être vous a-t-on, par jeu, soumis à l’expérience suivante : Vous aviez un champ, ou une pièce à traverser, encombrée d’obstacles divers.

Avant de vous élancer, vos yeux étaient bandés et, bien sur, les obstacles déplacés…

Vous avez construit dans votre tête une carte de ce territoire étrange peut-on dire qu’elle lui correspondait ? . Evidement non, dans les deux cas – la chute, ou le succès. Par contre on peut dire qu’elle ne convenait pas dans un cas et qu’elle convenait dans l’autre. D’où, en plus cette idée que la réalité n’apparaîtrait que dans les défauts de nos constructions mentales…

Henri EY disait que la pathologie mentale était la pathologie de la liberté ; un système humain (entendons ici un individu, mais aussi un couple, une famille,…) a perdu la liberté de penser, agir, parler de façon plurielle. Une seule lecture, de sa situation lui est accessible ; un seul modèle, une seule vision de son monde semble le contraindre parfaitement ; ce modèle est pris pour la réalité-même ; cette vision du monde est devenue vitale, la seule alternative perçue par le système étant le néant.

Quel est l’espace où va se jouer la répétition et / ou le changement ?

La deuxième cybernétique nous invite a retourner la phrase : « Un système créé un problème ». (par exemple telle famille produit les symptômes du patient identifié). Il devient « un problème crée un système ». Le problème est celui pour lequel la famille consulte, le système est alors Famille + Thérapeute + co-thérapeute.

C’est celui-ci qui va devoir inventer de nouvelles lectures de l’ensemble de la situation de souffrance.

Répéter donc les anciennes lectures, évidement, que Mara SELVINI et sa connotation positive nous ont appris a apprécier, puisque c’est la seule création que semble s’autoriser la famille ; en explorer d’autres, plus ou moins douloureuses, plus ou moins interdites, plus ou moins déjà là ; laisser s’opérer des choix imprévus, dont celui de l’homéostasie, mais aussi celui de changements de niveau 1 (pour parler comme BATESON) avec une vision du monde peu différente, peut-être plus fluide, ou encore de changements de niveau 2, quand un nouvel agencement surgit qui ne semblait pas exister.

Nous opérons à tiers-inclus. L’observateur fait partie du système qu’il croit décrire et qu’il invente. Le thérapeute ne peut se défaire de lui-même : La réalité de la famille nous échappe à jamais, seul est là le système thérapeutique. En son sein nous allons bâtir un Rêve de famille, ou plutôt nous allons en bâtir plusieurs !

Au point où notre travail (avec nous-mêmes, avec les familles, avec le superviseur) nous amène aujourd’hui, nous utilisons volontiers un modèle à quatre niveau de lecture. Ce qui est important c’est d’une part qu’aucun de ces niveau n’est plus « vrai » que les autres. Ils ne prennent leur valeur que de leur coexistence, de leur glissements l’un sur l’autre, de leur condition de possibilité ou d’impossibilité.

D’autre part les systèmes humains que nous rencontrons n’utilisent pas habituellement toutes ces lectures : Certaines paraissent privilégiées, voire exclusives ; d’autres au contraire exclues, voire interdites.

Un premier niveau est dit « niveau linéaire ». C’est celui des causalités directes : A entraîne B, Hector frappe Marie parce qu’il est méchant, Charles boit parce qu’il a perdu sa mère ; c’est celui des choix, des décisions : ou bien la mer, ou bien la montagne ; Jacques nous manipule ou bien il souffre. C’est un niveau complètement indispensable pour la vie pratique. Son apparente absence est évidement source de multiples difficultés. A l’opposé, nous voyons un grand nombre de familles qui semblent être entièrement aliéné à ce niveau ; c’est alors que nous voyons les désignations les plus serrées, portant sur un seul membre de la famille. Par exemple : « Tout le monde souffre parce qu’Ernest est schizophrène » ou bien  » C’est l’inceste qui cause la T.S. ».

Une question type d’exploration de ce niveau, c’est « pourquoi ».

Un deuxième niveau est dit « niveau circulaire ». C’est celui de la communication entre les éléments du système, des causalités complexes, incluant interactions – rétroactions, enchaînement de propositions causales décrivant des cercles où il est évidemment impossible de dire « voici le début » ou « voici la fin ». La ponctuation y est tout de suite arbitraire. C’est un niveau historiquement émouvant puisque c’est celui de la première approche systémique. C’est aussi celui, nous le verrons, de la spécificité de la technique d’entretien. Nous allons y décrire des phénomènes de symétrie, de complémentarité, de compétition pour les positions hautes ou basses, de symétrie cachée de paradoxes et de double liens. Un grand nombres de couples se vautrent avec délice dans ces communications sans fin, mais aussi quelques familles. Une question-type d’exploration de ce niveau, est « comment ? ».

Le troisième niveau, nous le disons « crise et changement », commence à pouvoir prétendre plus sérieusement à l’adjectf « systémique ». Il introduit surtout le temps, dans la lecture de la situation. C’est un temps un peu particulier, en ce sens que nous ne consulterons pas systématiquement la chronologie comme causale, que souvent au contraire il faut faire une hypothèse téléologique (le futur explique le présent, comme dans les prédictions qui se réalisent d’elle-même). Surtout, ce qui compte, c’est l’écoulement, la flèche, du temps, qui fait qu’il ne peut y avoir de véritable homéostasie. Tous les systèmes marient homéostasie et changement. C’est le cycle de vie et nous préférons le regarder s’écouler, irrégulièrement, avec des crises et des périodes de calme. Ce n’est pas tant qu’il n’y ait pas de changement dans les périodes de calme, mais il est plus continue, plus processuel. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’homéostasie en période de crise – les invariants sont même particulièrement important a rechercher – mais c’est plutôt qu’il s’agit d’un remodelage explosif de l’ensemble des relations systémiques (modification des processus de décision, changement dans les relations entre les éléments, et aussi, comme nous le verront après, changement dans le « rêve du monde » du système). Crise et changement, c’est un niveau merveilleusement décrit par Mara SELVINI : Paradoxes liant les éléments dans la durée, jeux familiaux complexes où l’on commence par faire semblant d’oublier que le changement est

inévitable, pour oublier ensuite les raisons du jeu, puis le semblant, le jeu lui-même…. Ce niveau, qui appelle la question « Quand ? » est bien souvent celui qui manque, celui qui n’est pas perçu dans les systèmes que nous rencontrons. De fait il existe probablement des systèmes dont c’est la lecture exclusive, mais alors nous ne rencontrons dans nos institutions que quelque électron pas-si-libre, fragment d’explosions successives…

Au quatrième niveau, « Identité et Appartenance », le système a pris de la consistance. On touche ce qui va différencier un système (individu, couple, famille, institution…) d’un autre système, et ce à ses propres yeux. Un système, c’est l’idée d’un système ; une famille, c’est l’idée d’une famille. C’est à dire, l’idée des liens particuliers, qui concernent son identité, qui lient chaque élément à ce système.

Ce sont pour R. NEUBURGER liens d’inclusions (lien partiel, reposant sur une caractéristique commune, par exemple Ensemble des praticiens hospitaliers, ou des thérapeutes systémiques) mais surtout d’appartenance (lien plus complet impliquant l’adhésion, pour l’essentiel irrationnelle, de chaque élément). c’est le niveau des rapports entre individu et système : Attribution réciproque d’Identité, Indépendance et Abandon, liberté et auto-organisation. Identité et Appartenance sont autant vus par le système comme produit par lui-même – « Nous, les DUPONT » que par le regard d’autrui (notamment les autres systèmes avec lesquels nous interagissons, conflits potentiels d’inclusion et d’appartenance, comme l’Ecole, l’Hôpital, l’usine…) – « Vous, les DUPONT »… Evidement c’est aussi la notion de mythe familial, comme construction par la famille d’un modèle d’elle-même, plus souvent mythe en déperdition dans nos familles d’aujourd’hui, que mythe-carcan.

Cette lecture mythique – ou identitaire – nous renvoie alors au niveau circulaire où des enchaînements relationnels seront relus comme rituels d’appartenance. Cette mise en corrélation des deux niveaux se montre par l’usage de la question « Comment ? » : Comment faites-vous ?, d’une part ; comment vous pensez-vous ?, d’autre part.

Qu’en est il maintenant des matériaux de construction de nos Rêves de Famille ? J’ai envie d’évoquer trois d’entre eux dont nous nous servons, qui nous semblent constitutifs des entretiens systémiques.

– C’est l’hypothétisation : Travail de pensée, certes qui anime les temps où le système thérapeutique se scinde en deux sous systèmes (thérapeute – co-thérapeute ; famille), travail d’invention, de mise en corrélation des éléments produits… par les hypothèses antérieures.

Les hypothèses, à quatre niveaux comme dans le modèle exposé, parfois à deux niveaux avec P. CAILLE (niveau phénoménologique – la façon dont les personnes interagissent ; niveau mythique ! la représentation du système pour lui-même où les autres systèmes), sont essentiellement des stimulant de curiosité, des pensées propres à donner envie de poser des questions, de rechercher de nouvelles différences, de nouvelles informations.

– C’est le questionnement circulaire : Une curieuse façon de poser des questions, permettant d’obtenir d’une part des énonciations portant sur des différences relationnelles, d’autre part d’introduire ou de réintroduire des énonciations, des informations.

Qui souffre le plus ? Qui est le plus proche de maman ? Que pense votre femme de la fiancée de votre fils ? Combien d’enfants aurait voulu votre mari ? L’absence de problème rapproche-t-il le couple de vos parents ?

Comment préserver l’image de votre famille qu’ ont les amis de vos parents ?

Evidemment les questions circulaires permettant à la famille de bâtir des hypothèses sur les mondes mentaux du thérapeute, voire du co-thérapeute.

– C’est l’objet flottant : Je co-participe avec la famille ou le couple à la construction de l’objet -thérapie ; le système qui doit évoluer c’est le système thérapeute – co-thérapeute.

Pour cela je vais faire une série de propositions traduisant pour la famille mes constructions d’hypothèse, propositions de modalités exploratoires, parfois ludiques, parfois dramatisées, souvent analogiques : sculpturations, génogramme.

La fin de séance, autrefois temps idéalisé de l’intervention contre – paradoxale qui viendrait, bombe systémiques, dénouer les liens du système, devient en deuxième cybernétique un moment d’un processus plus vaste ou il est possible, en redonnant à la famille des images, des hypothèses, un conte parfois, de favoriser l’émergence d’un nouveau Récit.

A. CHABERT