Enfants diagnostiqués Border Line

ENFANTS DIAGNOSTIQUES BORDERLINE, INSTITUTION, FAMILLE, APPROCHE SYSTEMIQUE

I Borderline

1 Origine

Le terme Borderline a été créé par des psychanalystes, Knight (1953) chez l’adulte, Erkstein et Wallerstein (1954) chez l’enfant, avec surtout la grande synthèse de O. Kernberg (1967).

La première moitié du XX° siècle a vu une unification de la psychiatrie de l’adulte, sous l’influence de la psychanalyse, entre deux pôles : Névrose et Psychose ; et la naissance d’une psychiatrie de l’enfant qui extrait la souffrance psychique de celui-ci des arriérations et handicaps organiques, sous l’égide du modèle Névrose / Psychose.

Puis, à partir de 1950, on va s’intéresser à tout ce qui échappe à cette dichotomie, et au vaste territoire « entre » (on passe d’une logique binaire – ou bien N ou bien P – à une logique quaternaire -N, P, et N et P, ni N ni P). Et on va rassembler, sous le vocable Etat-Limite et/ou Borderline, un ensemble disparate de troubles, ayant en commun, d’un point de vue psychanalytique, un certain nombre de caractéristiques de fonctionnement psychique et/ou relationnel.

D’une certaine façon, cette invention, avec sa métaphore géographique (limite, frontière, border,…), parachevait l’unification descriptive des maladies de l’esprit. Jean Bergeret, le maître en France des « Dépressions et Etats Limites », nous a dressé, par exemple :

– Une carte : on est dans la géographie, il y a des coordonnées – au nombre de trois – qui permettent de situer un point sur la carte

 

Névrose

Etat Limite

Psychose

Angoisse

Castration

Perte d’objet

Anéantissement

Relation d’Objet

Triangle Œdipien

Duelle anaclitique

Duelle fusionnelle

Mécanisme de

défense

Refoulement

Déni

Déni – Forclusion

– Un récit : on est dans l’histoire ! Tout commence avec, chez le Borderline, un traumatisme désorganisateur précoce (vers 18 mois), suivi d’un pseudo – latence (tronc commun des Etats Limites), puis d’un traumatisme désorganisateur tardif qui le fait exploser en toute une série de tableaux divers, selon le moment évolutif où se produit l’éclatement du tronc commun. Et on va trouver des choses aussi diverses que

Les dépressions en général

Les troubles dits aujourd’hui de l’humeur, et notamment la PMD…donc le Trouble Bipolaire

Les psychopathies et sociopathies

Les maladies psychosomatiques

Les perversions sexuelles

L’alcoolisme et les toxicomanies

Et le Borderline proprement dit !

(Dans ma logique quaternaire, je dirais que BL est plutôt et – et, tandis que tous les autres, sauf sans doute le MD « vrai » seraient plutôt ni – ni)

2 Un peu de description

La personnalité est mal affirmée, changeante, sans assurance sur le Qui je suis, sans autonomie. Cela est différent des psychotiques, qui nous paraissent très stables.

Les affects sont instables, caractérisés par la peur, la méfiance, la rage. Les sentiments de vide dominent, beaucoup plus que la tristesse ; les Borderline ne supportent pas bien les affects dépressifs et y réagissent par l’agitation, l’hyperactivité, l’impulsivité.

Les relations sont marquées par des phénomènes de tout ou rien, l’intolérance à la frustration et à la perte. Elles paraissent intenses et superficielles, utilitaires souvent. Avec leurs parents, cela passe d’un extrême à l’autre, violemment ; avec les frères et sœurs, les rivalités sont exacerbées. Maintenir les relations amicales est très difficile.

Le comportement est à la fois imprévisible par les sautes d’humeur, la bascule « en interrupteur » entre séduction et rejet….et prévisible dans ces bascules sans fin. Agressivité, explosion, mais aussi auto-agression et conduites autodestructrices, parfois comportement sadique, ou sexuellement agressif. Plus tard (adolescent, adulte) : tentatives de suicide, addictions, conduites à risques. Plus généralement, l’agir domine, au sens de réaction motrice ou comportementale.

Globalement l’épreuve de réalité est préservée. Le sujet n’est pas délirant, ni halluciné. En tout cas, lorsqu’il n’est pas submergé par la colère, il est plutôt rationnel, il peut même être critique de son comportement passé (alors qu’il y adhérait au moment où ça s’est passé ; on dit que le comportement était égosyntonique). La relation d’objet le rationalise ! Mais il peut présenter des moments psychotiques de désorganisation, voire de délire plus ou moins hallucinatoire, souvent avec l’aide de substances psychodysleptiques, y compris le cannabis ou l’alcool.

Cet ensemble rend évidemment très problématique sa réussite sociale (scolaire, professionnelle…)

3 : Trois conceptions. Et d’abord le DSM

Depuis le DSM III, la mode est à la parcellisation des tableaux cliniques. Borderline est dit « Trouble de la personnalité Borderline », en rapport de juxtaposition avec d’autres Troubles de la personnalité (par exemple : Narcissique, Histrionique, etc.).

5 manifestations doivent être présentes sur les 9 suivantes :

    • Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginaires

    • Mode de relations interpersonnelles instables et intenses, caractérisées par l’alternance entre des positions extrêmes d’idéalisation et de dévalorisation excessive

    • Perturbation de l’identité, instabilité marquée de l’image de soi

    • Impulsivité dans au moins deux domaines : dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite dangereuse, alimentation

    • Répétition de gestes suicidaires ou automutilatoires

    • Instabilité affective avec réactivité marquée de l’humeur : dysphorie intense, irritabilité ou anxiété pendant plus de quelques heures

    • Sentiment chronique de vide

    • Colères intenses et inappropriées ou bagarres répétées

    • Survenue transitoire d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs.

4 Puis : Otto Kernberg, la structure Borderline

Les caractéristiques de la structure dans le Trouble de personnalité Borderline sont pour lui :

La labilité du Moi : intolérance à l’angoisse, mauvais contrôle des impulsions, faible développement des processus de sublimation.

La faiblesse ou l’absence du refoulement : coexistence de pulsions et de défenses non perçue comme conflictuelle.

Le maintien de l’épreuve de réalité : absence de pensée déréelle, délirante en général, mais en situation de stress quelques processus primaires de pensée.

La pathologie des relations d’objet : pas d’unification vraie du Soi, ni de l’autre, relations manquant de reconnaissance et de réciprocité.

Si le futur Borderline a réussi la première des 3 épreuves qui se dressent sur le chemin de l’enfant, celle de la distinction Soi – Objet (à la différence du psychotique), il échoue à la deuxième, celle de l’unification du Soi et de l’Objet, et reste dans le clivage Bon – Mauvais. Le névrosé, lui, échouera à la troisième épreuve, l’Œdipe.

5 Et Luigi Cancrini : Le fonctionnement Borderline

Pour Cancrini, les schémas comportementaux et les problèmes relationnels restent dans la mémoire émotionnelle de tous les humains. Tout le monde peut y revenir, à tout moment et en toute circonstance, avec des seuils d’activation différents selon les individus.
La manifestation la plus courante est alors les
jugements extrêmes (tout blanc ou tout noir) sur la réalité interne et externe. C’est un fonctionnement normal de 15 – 18 mois à 3 ans, environ.

Nous pouvons avoir recours à ce fonctionnement, même adulte, intégré, etc. : Au stade par exemple, ou dans un moment critique comme une crise de couple, un deuil…En particulier, le fait de travailler en institution s’occupant (et interagissant avec) de « borderlines » peut, en fonction de nos propres seuils d’activation, amener à une « régression Borderline » de l’intervenant.

Le deuxième aspect est le mouvement oscillatoire entre les sentiments opposés : peur – colère, peur persécutoire – vengeance dominatrice (c’est la classique « toute puissance »).

Ce fonctionnement Borderline peut se déclencher facilement et être envahissant si le seuil d’activation est bas ou si le contexte le favorise.

Il renvoie à cette phase du développement, des deuxième 18 mois (de 1,5 à 3 ans), dite phase du rapprochement, où l’enfant, après une phase de grande exploration du monde, parfois sans peur, fait retour vers sa mère, comme s’il avait peur de la perdre en explorant.

Le contexte de ce moment, la disponibilité, va faire que les interactions cumulatives entre enfant et parents laissent une plus ou moins grande facilité à dépasser l’angoisse de séparation.

Dans cette phase, l’enfant, et c’est ce que fera le fonctionnant Borderline, fait des « cadeaux », d’amélioration par exemple, à l’adulte, et cache l’angoisse.

La mère a quelques difficultés ! Bien souvent, elle n’a pas le vécu d’expériences positives avec sa propre mère. L’extérieur, le contexte, l’empêche d’être présente, bloque sa disponibilité émotionnelle. Le conjoint, qui peut ou non être le père, a souvent, comme elle, fait l’expérience de la désinformation. Des conflits interpersonnels impactent l’équilibre affectif, intra et/ou intergénérationnels. Bref les parents, au sens large, paraissent souvent Borderline !

Les types d’expériences qu’ont fait les futurs Borderline sont diverses :

Atmosphère de violence, d’imprévisible menace ; histoire de répétition d’abandon négligent ; expérience d’inconsistance nécessitant de contrôler l’objet inconsistant ; expérience d’adulation habituelle avec dénigrement au moindre échec.

L’enfant va être victime ou bourreau, tout puissant (a tout) ou tout impuissant (a tout perdu) ; il est parfait ou incapable.


Selon que le contexte aura été plutôt dominé par l’abandon toujours en instance, l’absence de limites, ou une forme d’admiration sans empathie réelle, le sujet prendra une coloration plus abandonnique, antisociale ou narcissique – dévalorisé.

6 Mais : Apport de Jean-Paul Gaillard

Pour JP Gaillard, les générations successives deuils le milieu du XX° siècle subissent une radicale transformation, qui aboutit à des « mutants ». Les générations intermédiaires seraient des « semi-mutants », et les formes exagérées (ou en avance!), et ce sont peut-être nos Borderline, seraient des « mutants radicaux ».

Au « monde finissant » s’oppose un « monde naissant », où ne valent plus les notions d’autorité (de type paternel), de culpabilité de principe (le péché originel!), de relations complémentaire ou symétrique, d’identité par appartenance, d’intimité, d’histoire longue ; mais où les relations sont définies comme « égalitaritaires », non hiérarchiques, où l’identité est attachée à se montrer (extimité), où les objets sont morceaux d’existence, où le temps est un présent compact.

Les mutants ne se soumettent plus au « Fais comme je dis, pas comme je fais » mais plutôt à un « Je fais comme je te vois faire ».

JP Gaillard indique qu’il n’y a pas d’échappatoire à accepter l’ « égalitariré » : donc converser (sans utiliser l’argument d’autorité) et négocier (sans préparer une capitulation).

Cet enfant, cet adolescent bouge, veut être visible tout en étant mimétique, et interagit émotionnellement.

Et il paradoxe les représentants du monde finissant que nous sommes car il s’individualise fortement…avec une très faible singularité ; car son narcissisme est spécial, sans amour immodéré de soi, mais une difficulté à s’aimer ; car il est bizarrement en phase avec le monde moderne (TV, réseaux sociaux,…).

Alors : tous Borderline ?

II Systémique

1 Qu’est-ce que la Systémique ?

Pour moi, c’est l’art de se débrouiller avec les modèles, sans oublier la pluralité, ni la notion de point de vue.

Pour cela, il convient de poser :

Qu’il n’y a pas de non – contexte, le contexte étant essentiellement fait d’humains et d’un espace qui les relie et les sépare à la fois.

Que, de chaque place d’où je vois mon contexte, je participe de sa création, et, d’une certaine façon, il n’existe pas sans que je le construise.

Plutôt que faire un exposé sur la systémique, je vais vous proposer une série de phrases qui comptent pour le systémicien que je suis, peut-être en vous demandant de penser les échos qu’elles font dans votre monde mental, et dans votre travail :

a On ne peut pas ne pas communiquer (Watzlavick)

(tout est communication : conversons donc !)

b Le tout est plus que la somme des parties (Von Bertallanffy)

(pensons la famille, l’institution comme un tout)

c La carte n’est pas le territoire, mais le territoire est déjà la carte (Korzibsky)

(construisons des représentations…multiples et artistiques)

d Les systèmes vivants sont autopoïétiques (Varela et Maturana)

(favorisons les auto-apprentissages et les régulations)

e Il faut toujours faire parler le calendrier (Selvini)

(intéressons nous à la généalogie, à l’histoire, par des narrations)

f Plus ça rate, plus ça a des chances de réussir (Les Shadocks)

(abandonnons l’idée que l’autorité à distance fonctionne)

g Puisqu’il n’y a pas de solutions, c’est qu’il n’y a pas de problème (Les Shadocks)

(abandonnons l’idée d’ultrasolution)

h Si tu ne vois pas que tu es aveugle, alors tu ne vois pas ; si tu vois que tu es aveugle, alors tu vois (Von Foerster)

(acquérons la lucidité du non – savoir)

i La réponse est la catastrophe de la question (anonyme)

(exerçons une injonction à penser, donc une anti-désinformation : humour, paradoxe et créativité)

j Agir de manière à augmenter le nombre de choix possible (Von Foerster)

2 La rencontre institutionelle

Une rencontre institutionelle, c’est l’ensemble des interactions entre (au moins) deux systèmes humains, chacun faisant contexte pour l’autre au sein d’un méta – contexte (social, politique, économique…), méta – contexte déjà présent au sein de chacun des deux susdits : la famille et l’institution.

Chacun de ces deux systèmes peut être lu comme

Composé d’éléments, avec leurs qualités et leurs défauts ;

Espace de communication, avec alliance, règles, rituels ;

Histoire, avec un passé et un futur, ces crises, des changements, et de l’homéostasie ;

Identité, avec des Vertus, des idéaux, des mythes, des Rêves, des Douleurs.

C’est tout cela qui se rencontre ! Si nous n’avons pas peur de cette complexité, ce que nous pouvons faire, c’est modéliser. Voici un modèle que je vous propose :

Intervenant Jeune

Etablissement Famille

Et là, c’est toujours rencontre de représentations et de résonnances.

Par exemple, chacun est pris, plus ou moins dans un réseau de loyautés. Aussi bien le jeune que les agents institutionnels, et les membres de la famille. Et ces loyautés peuvent être visibles ou invisibles, à ses propres yeux et/ou aux yeux des autres, mais aussi réciproquement attribuées, plus ou moins justement.

Le programme officiel de l’intervenant, tel qu’il apparaît défini par l’établissement, le mandataire, le corps social, se double d’agendas secrets, qui peuvent être contradictoires entre eux. De plus, l’intervenant a son propre agenda, plus ou moins secret à ses propres yeux, fait souvent de mission réparatrice personnelle, accomplie ou inaccomplie.

Si « Mission » convient pour les agents institutionnels, c’est le mot « Attente » qui s’y confronte pour les membres de la famille. Et là aussi, i y a programme officiel et agendas secrets.

Ce que ce quadrangle nous indique, c’est qu’en I, agent institutionnel donc, je dois viser à équilibrer mes alliances, et éviter les coalitions avec le Jeune (contre sa Famille et/ou l’Etablissement), ou avec la Famille (contre le Jeune et/ou l’Etablissement), ou avec l’Etablissement (contre le Jeune et/ou la Famille).

Ceci me différencie de la position d’Agent de contrôle social (alliance posée avec E), de psychothérapeute individuel (alliance posée avec J), ou de psychothérapeute familial (alliance posée avec F, qui alors inclus J).

Equilibrer les alliances maintient en vie, contradictions comprises donc, et en créativité les éléments du quadrangle.

Et on peut dire que le fonctionnement Borderline vient percuter cet équilibre par le tout ou rien et le commutateur permanent.

Mais on peut dire aussi que cette interaction complexe, en quadrangle, en même temps génère du fonctionnement Borderline, et que sa modélisation consciente peut générer créativité, voire changement positif.

III Bibliographie

CANCRINI Luigi : L’océan Borderline De Boeck 2009

DSM 5 Elsevier-Masson 2015

GAILLARD Jean-Paul : Enfants et adolescents en mutation ESF 2009

KERNBERG Otto : Les troubles limites de la personnalité Dunod 1998

PAS DE 0 DE CONDUITE : Enfants turbulents : l’enfer est-il pavé de bonnes intentions ? ERES 2007

Alain CHABERT Aout 2016