SI PUO CHIUDERE UNA TERAPIA ?

GIORNATA DI STUDIO SIRTS MILAN 25 NOVEMBRE 2023

Vera Tsenova, Psychologue, Docteure en psychologie clinique, Thérapeute familiale systémique, ESA (EcoSystème Association, Chambéry, France)

Claire Gekiere, Psychiatre, Thérapeute familiale systémique, ESA, responsable de l’unité de thérapie de couple et famille (CHS de la Savoie, Chambéry,France)

Résumé : L’unité des thérapies systémiques de couple et de famille au CHS de la Savoie à Chambéry a mené une recherche sur plus de trente ans de travail avec les familles et les couples venus consulter. Ce follow-up est réalisé en plusieurs étapes : 1) analyse descriptive de plus de 900 dossiers de thérapies ; 2) envoi d’un questionnaire aux consultants portant sur leurs souvenirs de la thérapie (la demande, le parcours thérapeutique, l’arrêt de la thérapie et des éléments marquants depuis la thérapie) ; 3) analyse des réponses anonymisées des familles/couples par un groupe de thérapeutes de l’unité ; 4) travail sur les dossiers des familles/couples qui ont répondu au questionnaire. Avec cette présentation nous vous exposerons les résultats obtenus jusqu’à présent. Ainsi, nous avons orienté notre regard sur ce qui nous semble important dans le travail thérapeutique et notamment, le parcours construit entre thérapeutes et familles/couple avec au départ la demande exprimée et à la fin l’arrêt de la thérapie. En effet, les résultats de cette recherche nous interrogent sur comment s’arrête une thérapie ? Avec des divergences manifestes entre le souvenir des personnes venues en thérapie et les hypothèses des thérapeutes motivant l’arrêt.

  1. Introduction : présentation du contexte de la recherche faite par l’équipe d’ESA (EcoSystème Association) à l’unité de Thérapie Systémique de Couple et de Famille du Centre Hospitalier Spécialisé de la Savoie, Chambéry, France.

Iva Ursini nous avait rendu visite, avec Federico Ferrari, il y a quelques années. En voyant notre armoire pleine de dossiers, elle avait déclaré qu’il fallait en tirer parti, et cela avait alors décidé Alain Chabert à construire cette recherche, dont l’idée flottait depuis quelques années, en 2017.

Voici d’abord notre contexte de travail et de recherche, avant d’exposer les éléments de notre recherche , en espérant susciter des échanges qui nourrirons la suite de nos travaux.

Début de l’histoire et paysage actuel

Au commencement étaient un psychiatre, Alain Chabert et une infirmière en psychiatre, Pascale Périnel, récemment formés l’un par Robert Neuburger et l’autre par Elida Romano : ils ont ouvert une consultation de thérapie systémique de couple et famille, dans l’hôpital psychiatrique où ils travaillaient tous les deux, à Chambéry. C’était en 1986.

Aujourd’hui cette même consultation est assurée par une trentaine de thérapeutes et a rencontré plus de 1000 couples et familles au cours de ces 38 années.

Entre temps, en 2000, l’association ESA a été créée pour structurer l’activité de formation qui s’est développée après qu’un groupe de jeunes psychiatres en formation dans cet hôpital psychiatrique aient demandé et obtenu de se former pour devenir thérapeutes systémiques.

Nous avons donc une unité de consultation qui reçoit 13 jours par mois des couples et des familles. Chaque journée est assurée par une équipe de trois à cinq thérapeutes qui travaillent en co thérapie avec une glace sans tain, et consultent sur la même journée toutes les 4 semaines.

Sur ces 28 thérapeutes nous sommes :

  • 4 hommes et 24 femmes,
  • 5 psychiatres, 5 infirmiers en psychiatrie, 13 psychologues, 5 travailleuses sociales
  • Tous interviennent à temps partiel, dont 16 bénévolement (sur leur temps personnel).
  • Les stagiaires, en formation longue ou ponctuelle, assistent aux séances, et ceux en formation longue commencent à prendre des couples ou familles en thérapie en fin de deuxième année.

Au plan théorique nous aimons bien dire que nous sommes constructivistes, les enfants des Objets Flottants de Philippe Caillé et Yveline Rey (1994) et de Robert Neuburger (1995, 2019), qui est d’ailleurs notre superviseur de très longue date.

Nous recevons des personnes adressées par le bouche à oreille, par des travailleurs sociaux et par des professionnels de santé, notamment de l’hôpital psychiatrique, ce qui a l’intérêt de nous permettre de recevoir pas mal de situations psychiatriques, avec des patients fortement désignés (diagnostics d’anorexie mentale, de psychoses, des troubles graves de l’humeur, et chez les enfants autisme, TDAH…).

  1. Notre recherche

Juste faire deux remarques avant d’exposer notre recherche :

1) nous n’avons pas trouvé de texte étudiant cette question de la fin concrète d’une thérapie. Il y a beaucoup de tentatives d’évaluation des processus ou des résultats des psychothérapies (2009, 2013), beaucoup de textes passionnants étudiant les thérapies systémiques (dont des classiques italiens d’Andolfi (2008), d’Onnis (2009) et de Selvini (1987, 2002), mais rien sur la dernière séance en tant que telle, à part une brève remarque à propos du conte systémique : « Comme le faisait remarquer Carl Whitaker lors d’un congrès à Bruxelles, nous sommes devenus des experts quand il faut rentrer dans le système familial et s’affilier, mais nous nous révélons plutôt stupides quand il faut se séparer et terminer une thérapie. Le conte systémique offre une possibilité élégante d’échapper à cette stupidité. Il fait office de cérémonial de sortie aussi bien pour la famille que pour le thérapeute, il devient alors possible de se séparer sans rompre » (Caillé et Rey 1994).C’est assez étonnant car dans les modèles systémiques la fin va de soi, que le nombre des séances soit programmé ou pas ;

2) nous avons posé dans cette recherche une question sur l’arrêt de la thérapie, et si nous en parlons c’est parce que certaines réponses nous ont étonnés : plusieurs répondent qu’ils n’ont rien compris à cet arrêt de la thérapie !

Alors que comme thérapeutes nous pensions arrêter les thérapies (quand ce ne sont pas les clients qui arrêtent sans nous demander notre avis) quand nous faisons l’hypothèse que les gens peuvent se débrouiller sans nous, en accord avec le principe éthique de faire en sorte « d’augmenter le nombre de choix possibles » (Von Foerster), et d’être ainsi dans une « éthique de choix » et pas une « éthique de changement » (R.Neuburger, 1995 ). Et nous pensions leur énoncer clairement.

Cela est sans doute renforcé pour notre équipe de thérapeutes, au-delà de notre formation constructiviste, par nos pratiques professionnelles : nous travaillons presque tous en institution psychiatrique ou médico- sociale, qui sont des machines à fabriquer de la dépendance et de la chronicité, à enfermer les gens dans leurs problèmes, à figer les situations et nous avons donc une vigilance particulière à ce sujet.

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Histoire de la recherche « Que sont nos familles devenues ? »

La recherche débute en 2018 avec une description assez détaillée de près de 1000 familles et couples venus consulter au centre les derniers 35 ans. Très rapidement Alain Chabert oriente son regard sur la dernière séance et fait le constat que dans 21,5% des cas les notes ne permettent pas de dire qu’est-ce qui s’était passé ; qui a mis fin à la thérapie ; comment et pourquoi ? Ces premiers pas de la recherche étaient ensuite publiés dans « Vers une thérapie familiale constructiviste » (2024) par Alain Chabert.

Ensuite, en 2019 un questionnaire a été élaboré et envoyé aux familles/couples (930 courriers de questionnaire, Tableau 1).

Tableau 1 : Questionnaire envoyé aux familles/couples

Les réponses qui arrivaient étaient par la suite dactylographiées et anonymisées afin d’être classées par question et soumises à l’évaluation des thérapeutes du centre (appelés ici « thérapeutes-experts »).

Les évaluations se sont basées à la fois sur des questions catégorielles et quantifiables (Tableau 2), et des questions ouvertes permettant d’exprimer un point de vue (Tableau 3).

Tableau 2 : Grille d’évaluation quantitative pour chacune des questions du questionnaire.

Tableau 3 : Questions ouvertes aux thérapeutes sur les réponses au questionnaire.

Nous avons reçu et analysé 57 courriers, 56 contenaient le questionnaire rempli et un courrier sous forme de lettre. Ce qui nous intéresse ici aujourd’hui ce sont les résultats de l’évaluation des thérapeutes de la question 3 – « L’arrêt ».

Et au sujet de l’arrêt la moitié des réponses des familles/couples a été jugée comme « précise ». Sur l’ensemble de 57 participants 6 n’ont pas répondu à cette question.

Les thérapeutes ont été globalement en accord sur l’évaluation des réponses en fonction de l’attribution de l’arrêt de la thérapie. Majoritairement cette attribution revient aux thérapeutes eux-mêmes. Ensuite, ils jugent que l’arrêt de la thérapie a provoqué une incompréhension de la part de la famille/couple.

Sur les questions d’impression générale les thérapeutes considèrent que :

  • Fréquemment les réponses des participants étaient de style « les thérapeutes nous on dit qu’on allait bien » ou que l’arrêt s’était fait « car trop brassé ». Mais ils remarquent également une incompréhension de la part des familles/couples car l’arrêt a été « trop brutal ».
  • L’impression des thérapeutes que « si on arrête la thérapie en disant que la famille « va bien » ce n’est pas toujours saisi par les familles ». L’incompréhension par la famille de la décision de fin de thérapie et l’arrêt vécu comme brutal et pas préparé ou prématuré semblent l’idée principale qui se dégage. Cela les interroge : « pour nous les thérapeutes s’interroger sur comment arrêter une thérapie ? Faut-il préparer la fin ou expliquer la fin ? »
  • L’idée que les « conséquences de la question… peut-être de se souvenir de ce qui a été vécu en séance, se remémorer cette période. En rediscuter en famille ou en couple, voir ce qui a pu changer, bouger, voir la différence ou le pareil. »
  • Ce qui a marqué c’est la réponse qui rouvre la thérapie, ou amène une nouvelle perspective de reprise : « l’arrêt a été fait par mon mari qui ne voyait pas de changement. Avec le recul, il regrette et serait enfin prêt. Votre courrier est pour nous comme un signe du destin ». Mais aussi, « nous avons demandé l’arrêt car les séances ne répondaient pas du tout à nos besoins. Votre « protocole » commençant par demander aux parents de raconter leur histoire familiale n’était absolument pas adaptée aux familles adoptantes dont le fils adolescent en trouble de l’attachement remet en cause « l’appartenance » à sa famille d’adoption. Une vraie catastrophe. »

Le travail sur cette recherche n’a pu se poursuivre pendant quelques années. En 2023, il a repris avec une mise en correspondance entre les réponses des familles et leurs dossiers de thérapie croisée avec les souvenirs du thérapeute.

Informations sur les familles/couples qui ont répondu au questionnaire

  • Plusieurs membres d’une même famille ont répondu ce qui explique la différence du nombre de situations par rapport au nombre de réponses initialement comptabilisées dans la phase 1 de l’étude. Cependant, l’écart étant trop important (57 répondants au questionnaire et 43 situations de thérapie), on s’est rendu compte que des réponses étaient dactylographiées par erreur deux fois avant d’être anonymisées lors de la phase d’évaluation faite par les thérapeutes.
  • 43 situations/dossiers de thérapies étaient trouvées : 23 de thérapies familiales et 20 de thérapies de couple. Une situation ayant eu les deux thérapies à 10 ans d’écart était comptabilisée deux fois.
  • La majorité des familles qui ont répondu au questionnaire avait fait une thérapie dans les périodes entre 2002 et 2007 et entre 2010 et 2015. En ce qui concerne les couples, ils étaient plus nombreux dans les périodes entre 2008 et 2011 et entre 2017 et 2018 (Tableau 4).
  • Pour le nombre de séances on note une majorité chez les familles ayant bénéficié de 5 à 8 séances (11 familles). Pour les couples c’est plus difficile à dire car la répartition est assez homogène (Tableau 5).

Tableau 4 : Nombre de familles et couples en fonction des séances de thérapie.

Tableau 5 : Nombre de familles et couples en fonction de la période de thérapie.

Les situations qui interrogent par leur fin « incompréhensible » ont été sélectionnées et distribuées au thérapeute principal (ou au co-thérapeute). Ensuite, on demandait aux thérapeutes de la famille/couple de lire les dossiers et de nous parler de ce qu’ils se rappelaient de la thérapie et de comment elle s’était terminée.

On constate qu’il y a des situations pour lesquelles, malgré une lecture des notes de séances, les thérapeutes n’ont aucun souvenir.

Il est à noter qu’il s’agit d’une période de 20 ans et qu’il y a des thérapeutes que nous n’avons pas pu interroger (plusieurs départs et deux décès).

4. Regards croisés sur la fin de thérapie : 4 cas cliniques

  1. Thérapie de couple/Thérapie familiale – Le cas Dupont
  • 7 entretiens réalisés entre 2014 et 2016
  • Demande initiale faite par Mme pour le couple qui est séparé depuis peu.

La demande initiale formulée lors du contact téléphonique pour prendre un rendez-vous au centre : « On a des gros soucis, c’est pas la première fois qu’on consulte. On a eu une grosse crise familiale il y a 7-8 ans. On a consulté des éducateurs reconvertis en conseillers conjugaux. J’ai un mari qui est traité pour bipolarité. Il est en crise depuis un mois et ça devient de plus en plus difficile à vivre et j’ai deux ados à la maison qui souffrent. C’est tendu et un peu compliqué en période de crise. Ça part de ma demande à moi plus que de mon mari. Aujourd’hui on arrive à un point de non-retour, de non-communication. »

Les souvenirs du thérapeute après la lecture du dossier aujourd’hui : « Je me rappelle très bien de ces gens. Un couple très narcissique avec deux personnes hyper intelligentes et un jeu de couple serré alors qu’ils étaient séparés. Et les enfants très intriqués dedans. On a rapidement fait une orientation sur la famille car les enfants montraient de la souffrance, un devenait encoprétique. On a bossé pendant longtemps. Sur la fin on n’a pas fait des commentaires mais c’était presque annoncé. Mais c’était dur, ces gens étaient hyper centrés sur le couple qui était magnifique et les gamins étaient la cerise sur le couple. Les enfants étaient noyés. »

La réponse au questionnaire de la part de Mme Dupont : « Ravie de pouvoir en parler ! Nous sommes arrivés à la séance après plus de deux mois sans vous avoir vu, et on nous a dit que c’était fini. Aucun débriefing, vous nous avez lâchés dans la nature sans autre explication que celle d’estimer que c’était la fin. J’ai noté la différence entre une thérapie payante et une gratuite. Ma thérapeute a été très étonnée de cet accompagnement. J’ai eu l’amer sentiment d’avoir été vos cobayes. Combien étiez-vous à chaque fois derrière la glace ? j’avoue que cela ne me dérangeait pas pendant les séances mais la dernière m’a questionnée et je ne conseillerai pas à mes amis de participer à vos exercices car cela ne me semble pas juste et clair entre les deux parties. »

Les réponses de Mme Dupont aux questions 4 et 5 :

  • Q4 « Et depuis… » : « Mon mari m’a demandé le divorce fin 2016. Étonnée, attristée, j’ai tout de même accepté. Nous nous sommes séparés de manière beaucoup plus apaisée que nos 20 ans de mariage. Nous avons beaucoup d’affection l’un pour l’autre mais la vie à 2 est impossible. »
  • Q5 « Commentaire » : « Pour moi la thérapie familiale était un moyen pour que mon mari comprenne l’intérêt de parler à un tiers et accepte un suivi individuel. Il ne l’a pas fait… (…). Je sais que j’aurais tout mis en œuvre pour sauver mon couple. Et je ne regrette pas d’être venue vous voir. Même si j’ai eu des déceptions avec votre forme de thérapie, je vous remercie tout de même de recevoir nos familles en détresse. »

Les notes dans le dossier de la thérapie indiquent que la dernière séance s’était faite autour d’un objet flottant fabriqué par la famille – le fleuve de vie systémique. Les thérapeutes et la famille énoncent des changements mais il n’y a aucun commentaire final.

  1. Thérapie de couple – le cas du couple Dubois
  • 6 entretiens réalisés entre 2016 et 2017
  • Demande initiale faite pour le couple

La demande initiale formulée lors du contact téléphonique pour prendre un rendez-vous au centre : « (répète la question à sa femme) problème d’entente l’un et l’autre… des engueulades… c’est difficile de répondre (dit-il en s’énervant). »

Les souvenirs du thérapeute après la lecture du dossier aujourd’hui : « Je m’en souviens. Un couple super mais les enfants, l’achat de la maison, le travail… les a banalisés. Ils ont découvert du diabète chez Mr et cela les empêchait de faire des choses comme avant. Ils avaient fait un tour de l’Europe en vélo, tu te rends compte !? On leur avait dit : (lit dans les notes) « Les filles sont occupées par votre couple. Qu’est-ce que le couple devait apporter aux individus et qu’est-ce que les individus apportent au couple ? ». Je pense qu’on ne voulait pas qu’ils deviennent dépendants de la thérapie. Leur couple était dans une période difficile, un moment de passage à autre chose. »

La réponse au questionnaire : il y a deux écritures et encres différentes.

  • Pour l’un : « Impression de tâtonnement sur les séances de la fin. J’ai mal vécu l’arrêt : une phrase sans explication, ni bilan, l’impression de finir « en queue de poisson » ;
  • Pour l’autre : « Dernier rendez-vous très court. Avec une phrase assez sibylline nous faisant comprendre que nous ne portions pas tous les deux le même intérêt à notre couple. Ce qui aurait mérité davantage de clarté voir de débat. »

Les réponses aux questions 4 et 5 :

  • Q4 « Et depuis… » : « Le couple existe toujours. Beaucoup moins de disputes même si Mr s’emporte encore trop selon Mme (et elle a raison) ».
  • Q5 « Commentaire » : pour l’un « Accompagnement bénéfique mais peu d’échanges avec les thérapeutes. Pas d’évaluation du dispositif. Fin étrange, peu d’explications ni bilan. » ; pour l’autre « Le fait de parler, de prendre du temps pour notre couple est en soi bénéfique. La présence des psychologues permet un dialogue dépassionné. Nous avons conseillé cette thérapie à deux couples d’amis. » 
  1. Thérapie familiale – le cas de la famille Dufour
  • 5 séances en 2008
  • Demande initiale faite par la mère au sujet du fils

La demande initiale formulée lors du contact téléphonique pour prendre un rendez-vous au centre : « Mon fils est en opposition marquée avec des phases d’apathie complète. Plus goût à rien. A-t-il encore envie de vivre ? On ne sait pas comment faire. Parfois il est très exacerbé ce qui crée un déséquilibre au sein de la famille. Aussi avec sa petite sœur envers laquelle il a des comportements violents. »

Les souvenir du thérapeute après la lecture du dossier aujourd’hui : « Je connaissais ces gens, non, pas vraiment mais avec l’adresse, j’ai vu qu’on habitait le même village de 400 habitants. Ça m’est resté dans la tête, ça m’a parasitée parce que je savais qu’ils savaient. Quand j’ai relu les notes je n’en revenais pas, on avait vachement bossé. Ce qui émerge rapidement c’est les conduites à risque du fils. Il est triste, il est mal et il peut avoir des réflexes agressifs. Ses parents ont peur. Le père est souvent absent au ski avec ses copains et la mère ne veut pas y participer. Le gamin est trop désigné et l’ambiance hyper lourde. Je ressens qu’entre les parents c’est violent et je propose dès le premier entretien de voir les parents seuls. Lors du dernier entretien j’ai une hypothèse sur le couple mais le co-thérapeute n’était pas d’accord. Je fais un commentaire scindé et je suis persuadé qu’à ce moment-là Mme me dit « mais on se connaît ». Je réponds que « oui » et que si le couple le souhaite, il peut faire une autre thérapie. J’ai le souvenir d’avoir été contrainte mais aussi d’avoir trimballé sans cesse le fait que j’étais pas à ma place. J’ai eu le sentiment que c’était voué à l’échec dès le début et je me sens coupable, il fallait que je m’impose. Les co-thérapeutes, ils m’ont handicapée ! »

La réponse au questionnaire faite par Madame : « l’arrêt s’est fait à votre demande, un des praticiens ayant son fils dans la classe du notre, il a été décidé d’interrompre la thérapie. Ce que j’ai eu du mal à accepter, mais compris au niveau déontologique. Il n’y a pas eu de proposition alternative, ce que j’ai beaucoup regretté. Étant épuisée à l’époque, il m’a été conseillé de me faire aider, ce que j’ai vécu comme une désignation de responsabilité et a été très dur pour moi. Car je suis persuadée que tout le système de notre famille était et pour une part reste dysfonctionnant. Nous sommes passés à côté du problème. »

Les réponses de Mme Dufour aux questions 4 et 5 :

  • Q4 « Et depuis… » : « Par la suite la situation a empiré j’ai dû avoir recours à plusieurs reprises au cadre de la loi, avec un soutien quasi inexistant. J’ai entrepris une thérapie individuelle, ce qui a été aidant pour moi, et m’a permis de traverser cette période. Par la suite, j’ai repris des études et je suis devenue thérapeute. Notre fils, après un parcours très chaotique, va mieux, même si cela reste encore fragile. »
  • Q5 « Commentaire » : « Je suis contente de pouvoir m’exprimer sur cet épisode de notre parcours. Toutefois n’ayant pu bénéficier de la pleine mesure de l’aide que peut apporter votre centre, il me reste un sentiment d’inachevé. »
  1. Thérapie de couple – le cas du couple Durand
  • 7 entretiens mené en 2018

Demande initiale formulée lors du contact téléphonique pour prendre un rendez-vous au centre par Madame : « Pour le couple, ça fait 45 ans qu’on est ensemble, cet hiver ça a marqué un différent mode de vie au niveau des loisirs, une fracture, on peut dire. »

Les souvenir du thérapeute après la lecture du dossier aujourd’hui : « Je me rappelle bien, j’avais adoré ces gens. On avait fait un travail sur l’identité du couple, sur les événement et les projets. Ils avaient oublié d’où ils venaient, tout ce qu’ils avaient traversé. Il y avait un profond respect et amour l’un pour l’autre. Elle était proche de sa famille et lui toujours très sportif, dynamique. Elle avait des pensées sur une séductrice au sport. Ils avaient une profonde blessure et ils étaient à deux doigts de se séparer. Un couple esthétique ; avec qui on pouvait danser. Je propose en fin de thérapie comme… une piqure de rappel, même pas un rendez-vous mais… donner des nouvelles et Mme dit « c’est le dernier rendez-vous ! ». C’est ce que j’appelle la magie de résonner ensemble pour la fin. C’est un couple qui a des années de vol. »

La réponse au questionnaire (signé Monsieur et Madame) : « Arrêt brutal, nous y étions pas préparé. C’est à la fin de séance, lors des salutations. On nous a annoncé que le couple allait bien et que c’est fini. Nous avons regretté car les séances, du fait des questions profondes sur le couple ou l’autre, nous apportaient du calme et sérénité et prenions plaisir à rechercher au fond de nous ce qui était important. »

  • Q4 « Et depuis… » : « Depuis tout va bien et même très bien. Chacun a fait un pas vers l’autre et nous avons retrouvé une nouvelle dynamique de vie de coupe. »
  • Q5 « Commentaire » : « Nous ne pouvons que vous remercier de la qualité de votre travail. Peut-être du fait du résultat, avons gardé un sentiment amical avec l’équipe qui nous avait suivi. »

5. Discussion

Nous avons choisi de nous intéresser à la fin des thérapies car c’est cela qui nous a surpris dans les réponses reçues : cet écart entre notre représentation, comme thérapeutes, d’arrêter une thérapie de façon réfléchie, quand nous pensions devenir superflus pour le système venu consulter, vu le chemin parcouru, et l’incompréhension exprimée !

Cela a d’ailleurs modifié nos pratiques avec plus d’attention portée lors de la dernière séance décidée par nous à la formulation des raisons de l’arrêt.

Bien sûr nous avons conscience des limites de cette étude, notamment :

-le faible nombre de réponses par rapport au nombre de thérapies pratiquées dans notre unité (même si des chercheurs nous ont affirmé que c’était un nombre satisfaisant, vu l’ancienneté de nombreuses thérapies)

-Savoir que les personnes qui répondent ont souvent des critiques à formuler et saisissent cette occasion (même si nous avons des remerciements aussi…)

-La mauvaise qualité des notes dans les dossiers, avec l’habitude de noter les échanges du thérapeute en séance avec les familles, mais quasiment jamais nos réflexions pendant les interruptions de séance. Ce constat a d’ailleurs modifié notre pratique avec une attention portée maintenant à ce type de notes.

Autre surprise : Certaines thérapies n’ont laissé apparemment aucun souvenir aux thérapeutes. Souvenirs qui revenaient à la lecture des notes et/ou à l’évocation de la thérapie avec les co thérapeutes.

Cette recherche interroge donc aussi les mises en récit, intriquant de façon complexe les souvenirs des thérapeutes, sollicités par la mise en récit faite par les familles dans les réponses aux questionnaires, l’ensemble retravaillé dans cette forme de narration particulière qu’est la mise en forme des résultats d’une recherche…

Conclusion

Ajoutons pour conclure que continuer cette recherche, qui est donc en cours d’exploitation, c’est donner suite à l’envie d’Alain Chabert, malheureusement décédé en avril 2021, et à sa curiosité inlassable.

Et que cela est possible grâce à l’intérêt et au travail collectif de notre équipe, ainsi que grâce à l’alliage précieux des compétences en recherche et en thérapie systémique de Vera Tsenova qui a repris ce travail de recherche. Iva Ursini et l’équipe SIRTS en nous invitant en novembre 2023 à présenter ces premiers résultats à Milan en donc a renforcé l’impulsion initiale, tout en augmentant la possibilité de la croiser avec d’autres.

Bibliographie

Andolfi, M. et al. (2008). La thérapie racontée par les familles. De Boeck.

Caillé, P. & Rey, Y. (1994). Les objets flottants. ESF.

Chabert, A. (2024). Vers une thérapie familiale constructiviste, érès, (édition revue et augmentée)

Hendrick, S. (2009). Efficacité des thérapies familiales systémiques. Thérapie familiale, 30(2), 211-233.  https://doi.org/10.3917/tf.092.0211 

Neuburger, R. (1995). L’autre demande. ESF.

Neuburger, R. (1995). Le mythe familial. ESF.

Neuburger, R. (2019). Thérapie de couple. Manuel pratique. Payot.

Le Meur, V. et al. (2013). Peut-on évaluer l’alliance thérapeutique en thérapie familiale systémique ? Thérapie familiale, 34(2), 251-264.  https://doi.org/10.3917/tf.132.0251 

Onnis, L. (2009). Corps et contexte. Fabert.

Selvini, M. et al. (2002). Anorexiques et boulimiques. Médecine § Hygiène.

Selvini, M. (1987). Mara Selvini Palazzoli, histoire d’une recherche. ESF.