Comment Borderline est devenu Bipolaire

COMMENT BORDERLINE EST DEVENU BIPOLAIRE

Il était une fois une jeune femme de 31 ans. Elle s’appelait Sylvia PLATH. Le 11 février 1963, elle a laissé ses deux enfants à l’étage de l’appartement qu’elle loue, un appartement occupé autrefois par YEATS, a calfeutré les interstices, et s’est suicidée en mettant la tête dans le four et ouvrant le gaz. Elle est considérée comme une des plus grandes poètes (ou poétesse) américaine. Dans les notices biographiques, bipolaire remplace borderline aujourd’hui.

« A 14 ans, je me croyais invulnérable,

Je me croyais insensible à la souffrance » (Journal)

Son père, Otto, émigré allemand, meurt lorsqu’elle a 8 ans. Elle reste avec sa mère Aurélia, d’origine autrichienne, et son petit frère Warren, Ambition, culte du travail, elle écrit des poèmes, et des nouvelles en prose, dès ces 8 ans. Elle essaie la noyade, la chute en ski tout schuss. Son seul roman (The Bell Jar traduit par La cloche de détresse), dont sa mère tente d’empêcher la publication après son suicide, écrit en 1962, raconte sa bataille de toute sa courte vie contre l’attirance de la mort, l’ambiance à la maison après la mort du père, sa dépression de l’été 1953 (elle a 21 ans), le traitement par électrochocs, sans anesthésie ni curare, en ambulatoire, puis sa gravissime TS – « C‘était mon dernier geste d’amour »sont ses premiers mots à sa mère et à son « édifice d’amour et de respect » à son réveil – son séjour en Hôpital Psychiatrique et en clinique pendant plusieurs mois (psychothérapie psychanalytique, cure de Sakel et électrochocs, sous anesthésie cette fois).

Son défi : réussir sur tous les plans, être femme libre, y compris sexuellement, et être mère et épouse irréprochable , et devenir la poétesse des USA.

Les lettres, quasi quotidiennes à sa mère, alternent d’un jour à l’autre, avec ses écrits publiés, des « Je suis si heureuse », avec la noirceur « un vent de malheur rode ».

Elle consulte psychiatres, psychanalystes, aux USA et en Angleterre mais ce sont des « Herr Doktor, Herr Enemy » ou « Le psychiatre est le dieu de notre époque, mais il coûte cher ». Elle rapproche les électrochocs et l’exécution des Rosemberg, la même année.

Ted HUGHES, lui-même poète, anglais, très important, elle le mord lorsqu’il l’embrasse la première fois ; puis ils se marient le 16/06/1956, jour choisi car celui de Bloom dans Ulysse de JOYCE ; Frieda naît en 1960, une fausse couche en 61, puis Nicholas en 62.

Ted, sa liaison avec une de leurs amies, poète aussi, elle le met dehors.

Il reste présent, détruit les derniers carnets de Journal après le suicide, change l’ordre qu’elle avait prévu de publication dans le dernier recueil (Ariel).

Nicholas se suicidera par pendaison à 47 ans…

Introduction

Sur les Frontières ; Valerian agent spatio-temporel

« Encore une frontière ? Ca devient une habitude ! (Nerfelalen) n’est pas une nébuleuse comme les autres. Ses frontières sont floues, sa matérialité sujette à caution, son histoire hypothétique. »

« Toujours les frontières ! (C’est) au-delà d’une espèce de frontière immatérielle où sont relégués (ceux) qui ont chuté. »

Quelques fiches téléphoniques : UF Thérapies Familiales Systémiques

Symptôme ou problème à l’origine de l’appel « Mon mari est bipolaire »

Solutions déjà essayées pour résoudre le problème « On a emmené notre fils au psychiatre. Il a dit qu’il était bipolaire »

Évènement ayant précédé l’apparition des symptômes « Il faut vous dire que ma femme est bipolaire ».

Si les enfants sont surtout TSA ou TDAH, plus rarement TED, si les vieux sont Alzheimer, les adultes sont « bipolaires ». Nous reviendrons plus loin sur la question de l’étiquette, versus le stigmate. Pour l’instant, disons simplement notre perplexité devant la multitude des situations où le mot s’avance dans une interaction Psychiatre (ou médecin, ou agent institutionnel…) – Patient – Entourage, à la manière d’une vertu dormitive façon Molière (Le malade imaginaire), ou d’un instinct façon Bateson (Les métalogues), c’est-à-dire un concept qui explique à peu près tout, donc à peu près rien. Et, parmi ces situations, un certain nombre auraient pu voir advenir le mot « Borderline ».

« Je n’ai que 30 ans,

Et comme les chats, je dois mourir 9 fois.

Ceci est ma mort numéro 3

Quel saccage

Pour anéantir chaque décennie.

Mourir

Est un art, comme tout le reste

Je m’y révèle exceptionnellement douée.

De la cendre je surgis

Avec mes cheveux rouges

Et je dévore les hommes

Dévore les hommes comme l’air.

Dame Lazare in Ariel

« Je suis un cheval de course dans un monde dépourvu d’hippodrome.

Je naviguerai toute ma vie entre deux choses qui s’excluent mutuellement.

Je serai toujours prisonnière de cette cloche de verre, je mijoterai toujours dans le même air vicié. »

La cloche de détresse

« Comme les éléments se pétrifient,

Le clair de lune, cette falaise de craie

Au fond de laquelle nous gisons

Dos à dos. J’entends une chouette crier

Depuis son indigo glacé

D’intolérables voyelles pénètrent mon cœur. »

Evènement in La traversée

« Une voie intérieure me conseillait de ne pas me conduire en idiote – sauver ma peau, enlever mes skis et descendre par la forêt de pins qui bordait la pente – elle s’est envolée comme un moustique inconsolable.

L’idée que je pourrais bien me tuer a germé dans mon cerveau le plus calmement du monde, comme un arbre, ou une fleur. »

Journal

I Je vais commencer par un voyage à travers quelques avatars de la nosographie, entre les Monomanies du XIX°, les Etats-Limites du XX° et les Troubles Bipolaires du XXI°. Siècle, si vous voulez !

1 De quelques Monomanies du XIX°

Philippe PINEL Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, ou la Manie (La Manie disparaît du titre dans les éditions ultérieures) «  La marche progressive des Lumières sur le caractère et le traitement de l’aliénation mentale se rapporte entièrement à celle qu’on a suivie pour les autres maladies, suivant les degrés plus ou moins avancés de la civilisation des peuples. »

Jean Etienne Dominique ESQUIROL De la Lypémanie ou Mélancolie «  Le mot mélancolie, consacré dans le langage vulgaire, pour exprimer l’état habituel de tristesse de quelques individus, doit être laissé aux moralistes et aux poètes qui, dans leurs expressions, ne sont pas obligés à autant de sévérité que les médecins. »

ESQUIROL propose le terme de Lypémanie pour dégager la rigueur scientifique des approximations (supposées) des profanes. Il poursuit la pensée de l’âge classique, en s’attachant à ce que WILLIS, au XVII°, avait décrit de Mélancolie et Manie comme « affections se changeant souvent l’une dans l’autre ».

ESQUIROL trace des tableaux de formes de la folie, oppose les troubles des passions aux troubles de l’entendement, tournant autour de l’idée de Monomanie, « ensembles des Délires partiels pouvant répondre à un facteur de permanence et d’intermittence », le terme liant ensemble « toutes les mystérieuses anomalies de l’entendement humain, tous les effets de la perversion de nos passions ».

Fleuriront au cours du XIX° les nosographies, et les passions, tristes et gaies, tristes ou gaies, s’ordonneront en Folie à double forme (BAILLARGER) ou circulaire (FALRET), et en Psychose Maniaco-Dépressive (KRAEPELIN).

Henri EY, dans son Manuel de Psychiatrie, décrit Mélancolie d’une façon je dirai assez proche d’un style XIX° « Analysons cette douleur morale, ce qui nous permettra, en pénétrant dans la conscience malheureuse du mélancolique, de mieux comprendre le malade et de mieux l’interroger. Le fond en est constitué par des sentiments vitaux (dits aussi holothymiques ou encore endogènes) dépressifs. La qualité de la dépression de l’humeur constitue pour beaucoup d’auteurs une particularité symptomatique importante ».

« Voici parfaite la femme.

Mort

Son corps arbore le sourire de l’accomplissement ;

L’illusion d’une nécessité grecque

Flotte parmi les volutes de sa toge. »

Extrémité in Ariel

Dernier poème, écrit quelques jours avant son suicide

« Tout mon bonheur vient d’avoir réussi à avoir arraché un morceau de douleur et de beauté à ma vie, pour en faire des mots dactylographiés avec du papier. »

Journal

2 Les Etats-Limites du XX°

Le terme Borderline a été créé par des psychanalystes, Knight (1953) chez l’adulte, Erkstein et Wallerstein (1954) chez l’enfant, avec surtout la grande synthèse de O. Kernberg (1967).

La première moitié du XX° siècle a vu une unification de la psychiatrie de l’adulte, sous l’influence de la psychanalyse, entre deux pôles : Névrose et Psychose ; et la naissance d’une psychiatrie de l’enfant qui extrait la souffrance psychique de celui-ci des arriérations et handicaps organiques, sous l’égide du modèle Névrose / Psychose.

Puis, à partir de 1950, on va s’intéresser à tout ce qui échappe à cette dichotomie, et au vaste territoire « entre » (on passe d’une logique binaire – ou bien N ou bien P – à une logique quaternaire -N, P, et N et P, ni N ni P). Et on va rassembler, sous le vocable Etat-Limite et/ou Borderline, un ensemble disparate de troubles, ayant en commun, d’un point de vue psychanalytique, un certain nombre de caractéristiques de fonctionnement psychique et/ou relationnel.

D’une certaine façon, cette invention, avec sa métaphore géographique (limite, frontière, border,…), parachevait l’unification descriptive des maladies de l’esprit. Jean Bergeret, le maître en France des « Dépressions et Etats-Limites », nous a dressé, par exemple :

– Une carte : on est dans la géographie, il y a des coordonnées – au nombre de trois, Angoisse, Relation d’Objet et Mécanisme de Défense – qui permettent de situer un point sur la carte.

– Un récit : on est dans l’histoire ! Tout commence avec, chez le Borderline, un traumatisme désorganisateur précoce (vers 18 mois), suivi d’une pseudo – latence (tronc commun des Etats-Limites), puis d’un traumatisme désorganisateur tardif qui le fait exploser en toute une série de tableaux divers, selon le moment évolutif où se produit l’éclatement du tronc commun.

Un peu de description :

La personnalité est mal affirmée, changeante, sans assurance sur le Qui je suis, sans autonomie.

Les affects sont instables, caractérisés par la peur, la méfiance ou la rage. Les sentiments de vide dominent.

Les relations sont marquées par des phénomènes de tout ou rien, l’intolérance à la frustration et à la perte.

Le comportement est à la fois imprévisible par les sautes d’humeur, la bascule « en interrupteur » entre séduction et rejet….et prévisible dans ces bascules sans fin. Agressivité, explosion, mais aussi auto-agression et conduites autodestructrices, tentatives de suicide, addictions, conduites à risques. Plus généralement, l’agir domine.

Globalement l’épreuve de réalité est préservée. Le sujet n’est pas délirant, ni halluciné. En tout cas, lorsqu’il n’est pas submergé par la colère, il est plutôt rationnel. Mais il peut présenter des moments psychotiques de désorganisation, voire de délire plus ou moins hallucinatoire, souvent avec l’aide de substances psychodysleptiques, y compris le cannabis ou l’alcool.

Pour Otto KERNBERG, il y a une Structure Borderline.

Si le futur Borderline a réussi la première des 3 épreuves qui se dressent sur le chemin de l’enfant, celle de la distinction Soi – Objet (à la différence du psychotique), il échoue à la deuxième, celle de l’unification du Soi et de l’Objet, et reste dans le clivage Bon – Mauvais. Le névrosé, lui, échouera à la troisième épreuve, l’Œdipe.

Luigi CANCRINI préfère parler de Fonctionnement Borderline

Pour lui, les schémas comportementaux et les problèmes relationnels restent dans la mémoire émotionnelle de tous les humains. Tout le monde peut y revenir, à tout moment et en toutes circonstances, avec des seuils d’activation différents selon les individus.
La manifestation la plus courante est alors les jugements extrêmes (tout blanc ou tout noir). Nous pouvons avoir recours à ce fonctionnement, même adulte, intégré, etc. : Au stade par exemple, ou dans un moment critique comme une crise de couple, un deuil.

Le deuxième aspect est le mouvement oscillatoire entre les sentiments opposés : peur – colère, peur persécutoire – vengeance dominatrice (c’est la classique « toute puissance »).

Ce fonctionnement Borderline peut se déclencher facilement et être envahissant si le seuil d’activation est bas ou si le contexte le favorise.

« Sur cet éclat surgit le fiancé

Ô maître des miroirs !

Voici qu’il s’introduit

Entre ces pans soyeux, ces

Possessions bruissantes.

Je respire et le voile

Reflue en rideau sur ma bouche

Le voile est

Sur mon œil

Un enchaînement d’acs en ciel.

Je suis à lui

Et même en son

Absence, je me

Tourne dans mon

Fourreau d’impossible.

Purdah in Arbres en hiver

« Je distinguais dans le lointain la silhouette confuse d’un homme idéal, mais, dès qu’il s’approchait, je me rendais compte immédiatement qu’il ne ferait pas l’affaire. »

La cloche de détresse

3 Les Troubles Bipolaires du XXI°

Tels, en tout cas, qu’ils sont décrits dans la 5° saison du DSM.

Notons que les enfants ne sont plus séparés des adultes, mais intégrés.

Commençons par les éléments propres à être assemblés :

Le diagnostic est exclusivement critériologique (x caractères présents sur n possibles)

  • Episode maniaque EM Le chiffre 7 (jours nécessaires)
  • Episode hypomaniaque EHM Le chiffre 4
  • Episode Dépressif Caractérisé EDC le chiffre 14 (2 semaines)

Mélancolie a disparu (probablement trop connoté XIX°), névrose également (Probablement trop connoté XX°)

La différence est dite « difficile » avec une Perte Significative (ou Deuil) et se ferait sur l’importance des pensées à la perte.

Voyons les ensembles proposés :

  • Trouble Bipolaire type I TB1 : Au moins 1 EM au cours de la vie (à tout âge), même iatrogène. Pas d’EDC requis. Le diagnostic se pose avec les TDAH chez l’enfant, et le Trouble Personnalité Borderline TBL chez l’adulte ou l’enfant (pas vraiment de limite d’âge) et repose exclusivement sur la notion d’épisode pour le TB1
  • Trouble Bipolaire type II TB2 : 1 EDC requis (mais l’épisode peut être « étiré » + 1 EHM (4 jours). Le diagnostic se pose, mais « c’est plus compliqué » avec TBL, la aussi sur la notion d’épisode.
  • Une sorte d’assemblage se glisse en deçà des TB1 et TB2 : le Trouble Cyclothymique TC (diapo)

Le DSM-5 note qu’il n’y a « pas de vrai critère différentiel »avec TBL et conclut « les deux sont compatibles ».

  • Est proposé à la sagacité des rédacteurs de la prochaine saison du DSM (5°R ?, 6°?) un candidat assez discret l’Episode Dépressif avec Hypomanie brève : 1 EDC + 2 Périodes Hypomaniaques entre 2 et 4 jours. Fini de rire si vous avez le spleen !

Borderline n’a pas (pas encore?) disparu de la 5° saison du DSM. Mais il se dédouble, avec l’ensemble des Troubles de la Personnalité, et apparaît dans deux lieux, l’axe III étant dit « Alternatif ».

D’où on voit que Borderline a donné, donne, du fil à retordre aux rédacteurs – concepteurs, ce qui les amène à nous dire : « Les patients n’ont pas tendance à se présenter avec des configurations symptomatiques correspondant à un et un seul Trouble de la Personnalité » et « Les symptômes ont tendance à aller et venir, alors que les troubles sont relativement plus stables».

Un symptôme est donc essentiellement un comportement ? C’est le sens de l’Axe II, où on retrouve le diagnostic critériologique (5/9). Mais si « Répétition de TS » ou « Colère intense difficile à contrôler » peuvent se dire « comportement », que dire de « sentiment chronique de vide » ou « perturbation de l’identité » ?

Le TBL « peut ressembler à un Episode Dépressif ou Bipolaire à un moment donné, mais il y a début précoce et longue évolution ».

L’Axe III, dimensionnel, dessine en négatif un portrait de l’homme normal (stable émotionnellement, extraverti, agréable, consciencieux et lucide). On est presque dans un mixte XX° – XIX° !

« Les comprimés ne lui font plus d’effet : rouges, violets, bleus

Comme ils illuminaient l’ennui du soir qui s’éternise !

Ces planètes sucrées dont l’influence lui valut

Une vie baptisée dans la non-vie pour quelque temps

Puis en douceur, étourdi de médicaments, l’éveil d’un bébé oublieux.

Maintenant, ces comprimés sont périmés et bêtes, comme des dieux classiques.

Leurs couleurs de pavot-dodo ne lui font aucun bien.

Insomniaque in La traversée

« Parce que la peur est toujours là, et depuis si longtemps. La peur de voir tous les contours, toutes les formes et toutes les couleurs du monde réel, si péniblement reconstruits avec un amour si réel, s’évanouir dans un instant de doute et « soudain disparaître » comme la lune dans le poème de Blake.

Morte, j’ai ressuscité, et je n’hésite pas à recourir au sensationnel d’avoir été suicidaire, d’avoir frôlé la mort, d’être sortie du tombeau. »

Notes de Cambridge in Carnets Intimes

II De quoi est-il question dans cette assomption des Troubles Bipolaires, et du DSM ? La notion de postmodernité et de sujet postmoderne va-t-elle éclairer notre propos ?

1 Mais d’abord, c’est quoi (ou c’était quoi) la modernité (ou le modernisme ?

  • La rupture avec la Tradition, qui court de la Renaissance à la Grande révolution (1789), et se prolonge au long du XIX° et d’une partie du XX°.
  • La référence aux Lumières : un monde compréhensible par la Raison Humaine ; liberté individuelle et contrat social ; tout connaître ; universalisme (KANT «  sortie de l’Homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable…Sapere Aude ! » Was ist Aufklärung?)
  • L’appropriation du monde par l’homme, suite du tout connaître et de l’universalisme.
  • Croyance au progrès scientifique, historique et artistique.
  • Construction de Grands Récits.
  • Valorisation des avant-gardes.

2 L’individu moderne est le sujet pensant, avec sa conscience autonome, sa temporalité séparant nettement passé, présent et futur, sa rationalité, ses droits individuels comportant protection de la vie privée et de l’intimité.

Bref, c’est un sujet émancipé, cohérent, stable, libre et volontaire, qui se construit à travers ses appartenances, et qui est présent déjà chez les peintres de la Renaissance.

3 Mais sa déconstruction est tôt à l’œuvre !

Déjà Copernic et Gallilée avaient décentré la Terre ; puis Darwin avait attaché cet individu aux autres espèces animales.

Puis trois grandes voix – voies :

  • NIETCHE : Les Lumières masquent une croyance en une unité sous-jacente, et une croyance à notre croyance, qui n’en finit donc pas avec l’idée de Dieu.
  • MARX : Il n’y a pas de nature humaine, mais des conditions humaines, pas de sujet hors de ses conditions de vie, ce qui le détermine est hors de lui, et ce qu’il produit lui échappe (aliénation).
  • FREUD : le sujet, c’est le sujet de l’Inconscient ; le malaise dans la civilisation, c’est la limitation de la jouissance, et la culture est sublimation.

GÔDEL assène peut-être le coup de grâce avec son théorème d’incomplétude : aucun système ne peut être à la fois cohérent et complet, même pas les mathématiques.

Mais, chaque fois, la modernité avale ses déconstructions même : quoi de plus moderne que la Psychanalyse, le Marxisme ou la Cybernétique !

Pourtant Les Lumières, au mieux, n’ont pas empêché le colonialisme du XIX° et le Totalitarisme du XX° : « Auchwitz est le crime qui ouvre la postmodernité, ou le signe de son achèvement »

«Je pense aux lézards tirant la langue

Dans la fissure d’une ombre minuscule,

Et au crapaud gardien de la goutte d’eau de son cœur.

Le désert est blanc comme l’œil d’un aveugle

Aussi peu apaisant que le sel »

Dormir dans le désert Mojave in La Traversée

« Je suis totalement affolée : des choix et des évènements insignifiants me semblent d’insurmontables obstacles, le sens même de la vie m’échappe. »

Lettre à sa mère

4 Quid, donc, de la postmodernité ?

« Le maître ne parle plus, le ciel est vide, et les humains sont dans la détresse » (JF LYATARD)

  • A l’universalité s’oppose l’émancipation des identités soumises à la volonté progressiste de l’occident.
  • A la Rationalité universelle s’opposent la puissance de l’indétermanence (indétermination + impermanence), terme de Ihab HASSAN, et la valeur du métissage.
  • Aux libertés et au progrès social, la critique de la démocratie représentative (FOUCAULT…et les Gilets jaunes!)
  • Au progrès scientifique, la critique de la Technoscience et du Bio pouvoir (FOUCAULT).
  • Au progrès historique, la mort des Grands récits (LYATARD)
  • Au progrès artistique, la fin de l’œuvre d’art.
  • Et au sujet moderne (manque, refoulement, limitation de la jouissance, figures d’autorité, névrose et psychose), le sujet postmoderne.

KRISTEVA : Valorisation du paraître, difficultés à représenter les crises, le malaise et le conflit, blessures narcissiques, somatisation et agir.

EHRENBERG : Dépression et drogues de la fatigue d’être Soi.

MELMAN : Nouvelle économie psychique ou jouir à tout prix par la possession de l’objet et exhiber la jouissance.

Ce sujet est livré à son propre étalon, et éprouve sentiment d’échec et d’inutilité.Il a intériorisé le modèle du marché (GAUCHET), dans un monde sans limite, parfaitement fractalisé.

Derrière la critique de la modernité, si nous faisons une critique de la critique critique, on voit apparaître un nouvel hégémonisme, parfois d’allure bienveillante, avec un bio-pouvoir presque invisible (quand on ne le titille pas, dans le cas contraire la violence du pouvoir ne demande qu’à s’abattre). Ce nouvel hégémonisme, que j’ai nommé ailleurs prétotalitarisme, englobe tout, partout, et se défait de l’histoire au profit de la mondialisation libérale, et se décline dans toutes les facettes du néomanagement des institutions.

Bref, le sujet était barré, maintenant il est mal barré !

« Lac noir, barque noire, deux silhouettes de papier, noires

Jusqu’où s’étendent les arbres noirs qui s’abreuvent ici ?

Leurs ombres doivent couvrir le Canada.»

La traversée in La traversée

…Une vie passe, ma vie passe. Et je gaspille ma jeunesse et mes jours de splendeur sur une terre stérile.

…En tout état de cause, les choses vont mieux que le trimestre dernier où je devenais folle nuit après nuit, véritable putain hurlante en robe jaune. »

Notes de Cambridge in Carnets intimes

« L’air est tissé d’hameçons,

Zébré de questions sans réponse,

Comme des taons, étincelants, saouls,

Dont les baisers virulents brûlent

Dans le vent fétide et noir de l’air d’été sous les pins.

Je me souviens

De l’odeur morte du soleil sur le toit des cabines,

De la raideur des voiles, des longs linceuls de sel.

Mystique in Arbres d’hiver

« Je me sentais très calme, très vide, comme doit se sentir l’œil d’une tornade qui se déplace tristement au milieu du chaos généralisé. »

La cloche de détresse

5 Zygmunt BAUMAN (La société liquide, modernité et holocauste) me donne un point d’appui.

Certes « Narcisse est l’ expression mythologique de la déliquescence du sujet. Le sujet s’est liquéfié, a perdu sa solidité, sa substance, son essence ».

Mais il critique déjà la trajectoire moderne, née de la philosophie des Lumières, qui a abouti à confier à l’Etat l’ensemble des moyens d’organisation et régulation de la vie sociale, et ceci a une portée toujours potentiellement totalitaire, aboutie dans l’holocauste nazi et le goulag soviétique.

Dans la société postmoderne, l’Etat passe de « Jardinier » à « Garde-chasse ». D’où un nouveau Big Brother (téléréalité + ultraconcurrence + liens intéressés + contre-utopie). Dans la postmodernité, qu’il baptise modernité liquide, sous la logique consumériste, notre existence est insaisissable et atomisée, notre identité fluctuante comme un profil face book.

Une forme décentralisée de contrôle social s’occupe de notre fragmentation et nos peurs ont un gros capital marchand. « La modernité liquide ne se fixe aucun objectif, et ne trace aucune ligne d’arrivée ; plus précisément, elle n’attribue la qualité de la permanence qu’à l’état d’éphémère. Le temps s’écoule. Il n’avance plus. ».

Remarquons, d’ailleurs que modernité et modernité liquide partagent la promotion d’un « Tout est possible » (par exemple « Nul ne peut ignorer la science » CHANGEUX), qu’Hannah ARENDT posait comme élément essentiel du Totalitarisme.

« La lune est ma mère. Elle n’a pas la patience de Marie.

Son vêtement bleu laisse échapper chauves-souris et hiboux

Je voudrais tellement pouvoir croire à la tendresse

Au visage de cette effigie, ordonnée par la lueur des cierges

Qui poserait sur moi son regard bienveillant. »

La lune et le cyprès in Ariel

« Cher docteur : Je me sens très mal en ce moment. Soudain les simples rituels du quotidien regimbent comme un cheval rétif. Cette image de notre identité que nous nous escrimons chaque jour à imprimer sur le monde neutre, voire hostile.

…Nous voilà bien propre, les cheveux lavés de frais, mais vidée et chancelante ; une crise vient de passer. Nous battons le rappel de nos forces, nous rassemblons un bataillon bien discipliné d’optimisme et nous mettons en marche. Sans nous arrêter.

…Je me suis montré trop exaltée avec chacun de ces garçons. Soit ils étaient tout, soit ils n’étaient rien. »

Notes de Cambridge in Carnets intimes

III Alors, les saisons du DSM sont-elles l’instrument adapté à la postmodernité (ou modernité liquide) ? Il y en a quelques signes : néolibéralisme, domination américaine, liens à l’industrie pharmaceutique, disparition des Grands récits psychopathologiques, émiettement et fractalisation.

Mais, il est aussi avatar du modernisme classificateur, à travers sa reprise en main installant un nouveau pouvoir, une nouvelle norme. Celle-ci est fractale, certes, mais elle s’impose comme totalité prétendant inclure à l’infini les déviances comportementales.
Et la stigmatisation paraîtra douce, et n’en sera pas moins d’une redoutable efficacité, tant ses étiquettes sont promues comme devant s’autoprescrire.

Si BL résiste, BP en est le parangon, en identité revendiquée.

« Par la racine de mes cheveux un dieu s’est emparé de moi

J’ai grésillé dans ses volts bleus comme un prophète du désert. »

Le pendu in Ariel

« Si je ne bouge pas et si je ne fais rien, le monde continue de battre comme un tambour mal tendu, dépourvu de sens.

…La pauvreté d’un monde sans rêve est inimaginable tant elle est affreuse. C’est cette folie qui est la pire. L’autre, celle avec des visions et des hallucinations, serait un soulagement. »

Journal

« Je deviens

L’écume des blés, un miroitement de vagues.

Le cri de l’enfant

Se fond dans le matin

Et je

Suis la flèche,

La rosée suicidaire accordée

Comme un seul qui se lance et qui fonce

Sur cet œil

Rouge, le chaudron de l’aurore. »

Ariel in Ariel

IV Bibliographie

Sylvia PLATH Ariel Gallimard 2017

Arbres d’hiver précédé de La traversée Gallimard 2017

La cloche de detresse Gallimard 1988

Carnets intimes La table ronde 2017

Le jour où Mr Prescott est mort La table ronde 2017

Zygmunt BAUMAN La société liquide, modernité et holocauste La fabrique 2002

Jean BERGERET La depression et les états limites Payot 1975

Luigi CANCRINI L’ocean Borderline De Boeck 2009

Alain CHABERT De l’hégémonie des modèles au prétotalitarisme Communication au CEDEP Paris 2006

Jean Etienne Dominique ESQUIROL De la lypémanie ou mélancolie Sandoz 1976

Otto KERNBERG Les troubles limites de la pesonnalité Dunod 1997

Philippe PINEL Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou La Manie (texte en ligne BnF Gallica)