Féminin et masculin
Communication au CHAI (38) Journée « Accuil Familial Thérapeutique » Alain CHABERT
1
Je devais avoir 4 à 6 ans lorsque mon frère, beaucoup plus vieux (24 à 26 ans), m’a présenté sa fiancée. A peu près à la même époque, ma sœur guère plus jeune fit de même avec son amoureux .
J’avais là deux incarnations de la féminité et deux de la masculinité.
D’une part, un quasi sosie de Gina Lollobrigida et une réplique d’Hannah Arendt pour le féminin, d’autre part Clark Gable et Georges Brassens, pour le masculin.
2
Ce n’est que plus récemment, que j’ai su que le genre était performatif.
C’est-à-dire qu’il n’est pas superposable au sexe, et qu’il est tout entier contenu dans les actes des personnes dont on va dire, et qui diront, sans doute, d’elles-mêmes qu’elles appartiennent à un genre, ou à un autre.
Le genre est ce que la société attend d’une certaine apparence physique. Cette apparence physique va prendre la forme d’un sexe, masculin ou féminin, suivant en cela les caractères sexuels dits secondaires. Ce qu’elle attend, c’est une manière de penser, d’agir, de se comporter. C’est aussi un ensemble de tâches qui vont être préférentiellement effectuées.
Je vais rappeler un dessin de Wolinski : on y voit deux vieux académiciens (de l’académie française), discutant au moment de la nomination de Marguerite Yourcenar « Il y a une femme à l’académie ». « Quoi ? » (L’autre est un peu sourd) « Il y a une femme à l’académie !» « Peut pas attendre la fin de la séance pour faire le ménage ? ».
Dire que le sexe est performatif, c’est dire qu’il n’est pas exprimé par des actions, des gestes, des discours, mais que la « performance » donc les actions, les gestes, les discours, produit rétroactivement l’illusion d’une essence, d’une disposition naturelle. Et nous sommes assujettis au genre que nous désigne le langage.
Judith Butler, philosophe féministe américaine : « La différence des genres est socialement construite dans des interactions quotidiennes, qui nous amènent à utiliser inconsciemment des stratégies pour nous faire admettre comme homme ou femme ». Et les transsexuels utilisent, plus consciemment peut-être, ces stratégies au moment du changement.
Pourquoi les femmes ne chassent-elles pas ? Dans quasiment toutes les sociétés, ce sont les hommes qui chassent ! Alors, pourquoi ?
Mobilité nécessaire pour chasser, qui serait limitée par les grossesses ? Non : Les femmes peuvent être rabatteuses dans certaines tribus, elles parcourent souvent plus de distance que les hommes, et, chez les Inuit, elles ne peuvent pas attendre le phoque au sortir de son trou.
Donner la mort est incompatible avec le pouvoir de donner la vie ? Non ! : Elles peuvent tuer des animaux, mais pas avec arc, flèche, lance… Françoise Héritier, anthropologue, nous propose une hypothèse symbolique : Il y aurait incompatibilité entre le sang des règles, et de l’accouchement, et le sang versé dans la chasse. Et elle remarque que les femmes sont généralement exclues des activités de guerre et de sacrifice (sacré). Guerrier, chasseur, grand-prêtre, sont des hommes.
Pensons aussi au mythe virginal, avec deux célèbres vierges, Jeanne d’Arc, et Artémis (Diane chasseresse), mais encore à la notion d’impureté, liée au sexe féminin dans un grand nombre de cultures.
3
Une belle constance des sociétés, de celles que les anthropologues et les historiens étudient, aux sociétés modernes, est la présence d’une hiérarchie des catégories de sexe (male versus femelle). Le sexe masculin, et ce qu’on lui prête habituellement, sont tenus pour supérieur au féminin et ce qu’on lui prête. Sur le site de « osez le féminisme », ou peut lire quelques perles. Par exemple sur un cours de comptabilité, vous trouverez facilement « L’expert-comptable remet à la secrétaire »…., plutôt que « l’experte comptable remet au secrétaire ». Si vous dites, au cours d’un repas de famille
« J’aime bien cuisiner », vous pourrez, mademoiselle, entendre votre grand-père répondre « tant mieux, tu trouveras un bon mari). A un couple dont les 2 cartes bancaires étaient bloquées, une banquière propose « je débloque celle de Monsieur, pour qu’il aille travailler ». Certains carnets de correspondance de lycées comportent encore deux cases, « chef de famille » et « mère ».
4
L’idée qui semble naturelle, c’est que le sexe précède le genre. L’enfance de l’individu rejouerait l’enfance de l’humanité. L’enfant voit d’abord la différence des sexes, des petits garçons et des petites filles. C’est pour lui une épreuve, celle que Freud a nommé castration. La différence perçue va faire l’objet de théories- infantiles, qui lui permettront, et cela n’ira pas sans sacrifice, de se fabriquer, dans les interactions avec les adultes les plus proches, ses parents donc, une identité sexuelle, une identité de genre, qui pourra, ou non, selon les vicissitudes des projections, des introjections, des mondes psychiques supposés des parents, être en conformité avec le corps et ses formes anatomiques.
Les attentes normées sur le comportement viendraient alors se greffer sur cette trame.
Au fond, Freud : « Le destin, c’est l’anatomie ! »
A quoi Simone de Beauvoir répond : « on ne nait pas femme, on le devient ! »
Les attitudes adoptées envers les enfants sont fort différentes selon le sexe, et ce, très tôt. Dans notre culture, on s’attend à ce que le petit garçon soit robuste, fort, bougeon. Et la petite fille douce, fine, délicate !
Jeux, aménagement de chambre, comportements censurés au encouragés, habillement, mode privilégié d’interaction avec les jouets…
Françoise Héritier rapporte une expérience. On présente à un groupe d’étudiants une photo montrant un bébé qui crie. Et on demande pourquoi crie-t-il ? Si on précise qu’il s’agit d’une fille, la réponse prévalente sera « Elle a peur » Si on précise qu’il s’agit d’un garçon (c’est le même bébé), ou obtiendra plutôt, « Il est en colère »
L’enfant, alors, va adopter des conduites appropriées à son sexe, dans une culture. Et il acquiert aussi des connaissances sur le » sexe » comme catégorie. Et vers 2 ou 3 ans, il peut classer les individus selon le sexe, masculin ou féminin. A partir de 2 à 3 ans, également, se forme une préférence pour des jeux avec des enfants de même sexe. Plus les enfants passent de temps avec des partenaires identiques à eux, et plus leur comportement sexué se différencie et se renforce !
Pour les théoriciens du genre, l’attente collective préexiste au sexe, et le façonne.
Enfin, la théorie Queer nous dit qu’il n’existe pas de genre masculin ou féminin strictement défini, mais des ambiguïtés, des glissements, des transferts, qu’il s’agisse d’ambiguïtés génétiques, ou de variations de la perceptions intime du moi sexué, et de l’orientation sexuelle.
5
Combien existe-t-il de sexes ?
1 ? ,2 ? ,3 ?,4 ?
D’Aristote au XVI siècle, pour les savants, les médecins donc, il n’y a qu’un sexe… le masculin, soit la forme achevée. Le genre femme a un sexe identique, mais inversé. Moins parfaite simplement, la femme est moins chaude, plus fluide. (Gallien : « Si elle désire, c’est qu’elle a des testicules ». Idem dans le monde arabo- musulman (Avicenne, Averroès).
A partir du XVIII siècle, il y a 2 genres et deux sexes. La femme est alors identifiée à ses ovaires, qu’on lui ôte en cas d’hystérie.
Freud dit : 1 et 2 ! Bisexualité de chacun, donc unisexisme. Mais orgasme vaginal, donc jouissance féminine spécifique. Mais libido non sexuée !
Pour les Inuit, et les indiens des plaines, il y a 3 sexes. C’est, du moins, l’interprétation que font les ethnologues canadiens Bernard Saladin D’Anglure et Pierrette Desy.
Chez les Inuits, le sexe, d’une part, est supposé instable à la naissance. Il peut se changer, même si tout l’univers est divisé en mâle et femelle : animaux, végétaux, minéraux, corps célestes, saisons, phénomènes atmosphériques…
Lorsqu’un enfant nait, d’autre part, on lui donne un nom d’un ancêtre décédé… et s’il est de sexe oppose, l’enfant sera élevé jusqu’à la puberté dans les rôles sociaux de l’autre sexe, incluant les vêtements. Ensuite, il (ou elle) va regagner son groupe de sexe.
Mais un Inuit, enfin, peut devenir chamane et être considère comme homme à identité féminine ou femme à identité masculine. Ces membres du troisième sexe vont jouer un rôle de communication entre les humains et les composantes de l’univers.
Ces chamanes sont très souvent travestis. Ils portent des vêtements des 2 sexes. Bernard Saladin d’Anglure : « Le chamane n’appartient ni à la classe des hommes, ni à celle des femmes, mais à une troisième classe, avec des tabous à traits masculins et féminins »
Pierrette Desy, elle, a montré que quasiment toutes les tribus indiennes d’Amérique du Nord, (surtout chez les indiens des plaines : Hurons, Iroquois, Pueblo, Hopi, Navajo, Zuni, Cheyenne, etc.) ont eu des « hommes-femmes », que les blancs, colonisateurs, appelaient des Berdaches. Et en assez grand nombre. Le passage à cette catégorie se faisait vers l’adolescence, après un rite de passage, ou un rêve, ou une vision. Ils étaient « manitou », avec des fonctions, tout à fait socialement reconnues, sans aucune conception pathologique ou marginale, de médiation entre le sacré et le profane, de marieur, de magicien…
« Le Berdache n’était ni fou, ni malade, ni déviant, mais autre. A la question : Comment peut-on être un homme, comment peut-on être une femme, il répondait par : femme –homme ! »
Robent Neuburger parle du psychothérapeute comme d’un passeur de frontières. Chamane, homme –femme peut-être !
Notre société connait des êtres qui passent la barrière, qui transgressent la différence, la distinction, des sexes : Des cas classiques d’hermaphrodisme, mais aussi des transsexuels, ou transgenres. Et c’est de cela que nous parle la théorie Queer
Sandra Benn, sociologue, distingue 4 catégories psychosociales de sexe :
– Des Hommes à masculinité élevée et féminité faible
– Des Femmes à masculinité faible et féminité élevée
– Des types croisés : homme avec masculinité faible et féminité élevée ; femme avec féminité faible et masculinité élevée ; homme ou femme avec masculinité et féminité faibles (ni –ni ?)
– Des androgynes : homme ou femme avec masculinité et féminité élevés (et –et ?)
Robert Neuburger, lui, nous proposa jadis, comme une boutade, également, 4 sexes :
-des hommes
-des femmes
-des ours, femme ou homme, mais ambigu, de très forte taille (p.ex. : les anciens chanteurs Carlos ou le leader d’Aphrodite’ s Child ; peut-être le lieutenant Violette Rettancourt chez Fred Vargas)
-et des saintes, femmes ou hommes, mais ambigus aussi, très maigres, et androgynes (
(Simone Weill, Hildegarde Von Bingen, Kate Moss)
On voit le lien avec la classification précédente, mais ou note que Robert Neuburger nous amène la
question de la Séduction !
6 D’une part, nous avons le sentiment d’appartenir à un genre. La plupart d’entre nous nous sentons appartenir au groupe des hommes ou au groupe des femmes, même lorsque nous avons conscience de la construction sociale de ces groupes. Et, en même temps, nous sommes assignés par les autres à cette même appartenance. Qui est alors une inclusion !
Nous gardons en mémoire ce que nous ont montré les anthropologues, c’est-à-dire que certains peuvent se sentir appartenir à un groupe au-delà de cette frontière, et pourtant en accord avec le corps social.
Mais d’autres, dans notre société, sont assignés à un groupe, et se sentent appartenir à un autre groupe.
D’autre part, nous éprouvons une attirance pour un autre. Bien souvent, ce sont des traits masculins ou féminins (selon les codes de notre société), que nous attirent. Mais ce peuvent être des traits croisés, ou androgynes (Carlos, Hildegarde).
Et nous pouvons être attirés par un membre d’un autre ou du même groupe de genre que nous.
Ce que nous disent théorie Queer et militants gays, lesbiens, ou transgenres, c’est qu’appartenance et attirance sexuelle s’inscrivent dans un cadre marqué par la domination du sous-groupe masculin-hétérosexuel.
Tous les membres de tous les sous-groupes s’inscrivent dans des stratégies, plus au moins conscientes ou inconscientes, pour être reconnus dans leur appartenance. Et ces stratégies sont normées et codées. Il existe des façons normées, attendues, de se comporter, y compris dans une appartenance et/ ou une attirance non normée.
7 La famille est évidemment un des creusets où se fabriquent ces appartenances et ces attirances. Mais, bien sûr, la succession des groupes de pairs, notamment, mais pas seulement, à l’école, en est un autre.
Qu’est-ce qu’une famille pour que ces montages surviennent ? Pour un systémicien (constructiviste), ce sont, certes, des corps, distincts, certains porteurs de traits dont la différence sera imputée à des âges différents, voire des générations différentes, mais aussi porteurs de caractères qui seront nommés sexuels.
Mais c’est aussi une matrice de communication, un espace de circulation de la parole et du désir, où se distribuent des rôles, des fonctions, des hiérarchies. Celles-ci sont devenues plus incertaines de nos jours, où se mêlent tradition et réinvention.
C’est également un flux temporel, un fleuve du temps, translation des générations : enfant de, parent, parent de parent, parent de parent de parent, ancien, ancêtre… Une histoire qu’on se raconte, des vertus et des rêves qui circulent, des histoires de différence et de conformité.
Une identité, enfin, de croyances et de liens.
Bref, une institution, de la société, et, par-là, soumise à ses vicissitudes, transmettant et amortissant ses normes, et participant à leurs transformation.
8 Bibliographie
BUTLER Judith Trouble dans le genre La Découverte Paris 2005
Ces corps qui comptent Editions Amsterdam Paris 2009
DELRIEU A.: L’invention du père biologique et la fabrique du sexe féminin Synapse fevrier 1998 N° 143 p 33 – 37
DESY Pierrette L’homme-femme (le Berdache en Amerique de Nord) Libre Payot Paris 1978 N° 78-3 p 57 – 102
HERITIER Françoise : Hommes, femmes, la construction de la différence Le Pommier Paris 2005
Masculin – Féminin. La pensée de la différence Odile Jacob Paris 1996
La différence des sexes Bayard Montrouge 2010
SA
Féminin et masculin
Communication au CHAI (38) Journée « Accuil Familial Thérapeutique » Alain CHABERT
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Je devais avoir 4 à 6 ans lorsque mon frère, beaucoup plus vieux (24 à 26 ans), m’a présenté sa fiancée
.
A peu près à la même époque, ma sœur guère plus jeune
,
fit de même avec son amoureux .
J’avais là deux incarnations de la féminité et deux de la masculinité.
D’une part, un quasi sosie de Gina Lollobrigida et une réplique d’Hannah Arendt pour le féminin, d’autre part Clark Gable et Georges Brassens, pour le masculin.
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Ce n’est que plus récemment, que j’ai su que le genre était performatif.
C’est-à-dire qu’il n’est pas superposable au sexe, et qu’il est tout entier contenu dans les actes des personnes dont on va dire, et qui diront, sans doute, d’elles-mêmes qu’elles appartiennent à un genre, ou à un autre.
Le genre est ce que la société attend d’une certaine apparence physique. Cette apparence physique va prendre la forme d’un sexe, masculin ou féminin, suivant en cela les caractères sexuels dits secondaires. Ce qu’elle attend, c’est une manière de penser, d’agir, de se comporter. C’est aussi un ensemble de tâches qui vont être préférentiellement effectuées.
Je vais rappeler un dessin de Wolinski : on y voit deux vieux académiciens (de l’académie française), discutant au moment de la nomination de Marguerite Yourcenar « Il y a une femme à l’académie ». « Quoi ? » (L’autre est un peu sourd) « Il y a une femme à l’académie !» « Peut pas attendre la fin de la séance pour faire le ménage ? ».
Dire que le sexe est performatif, c’est dire qu’il n’est pas exprimé par des actions, des gestes, des discours, mais que la « performance » donc les actions, les gestes, les discours, produit rétroactivement l’illusion d’une essence, d’une disposition naturelle. Et nous sommes assujettis au genre que nous désigne le langage.
Judith Butler, philosophe féministe américaine : « La différence des genres est socialement construite dans des interactions quotidiennes, qui nous amènent à utiliser inconsciemment des stratégies pour nous faire admettre comme homme ou femme ». Et les transsexuels utilisent, plus consciemment peut-être, ces stratégies au moment du changement.
Pourquoi les femmes ne chassent-elles pas ? Dans quasiment toutes les sociétés, ce sont les hommes qui chassent ! Alors, pourquoi ?
Mobilité nécessaire pour chasser, qui serait limitée par les grossesses ? Non : Les femmes peuvent être rabatteuses dans certaines tribus, elles parcourent souvent plus de distance que les hommes, et, chez les Inuit, elles ne peuvent pas attendre le phoque au sortir de son trou.
Donner la mort est incompatible avec le pouvoir de donner la vie ? Non ! : Elles peuvent tuer des animaux, mais pas avec arc, flèche, lance… Françoise Héritier, anthropologue, nous propose une hypothèse symbolique : Il y aurait incompatibilité entre le sang des règles, et de l’accouchement, et le sang versé dans la chasse. Et elle remarque que les femmes sont généralement exclues des activités de guerre et de sacrifice (sacré). Guerrier, chasseur, grand-prêtre, sont des hommes.
Pensons aussi au mythe virginal, avec deux célèbres vierges, Jeanne d’Arc, et Artémis (Diane chasseresse), mais encore à la notion d’impureté, liée au sexe féminin dans un grand nombre de cultures.
3
Une belle constance des sociétés, de celles que les anthropologues et les historiens étudient, aux sociétés modernes, est la présence d’une hiérarchie des catégories de sexe (male versus femelle). Le sexe masculin, et ce qu’on lui prête habituellement, sont tenus pour supérieur au féminin et ce qu’on lui prête. Sur le site de « osez le féminisme », ou peut lire quelques perles. Par exemple sur un cours de comptabilité, vous trouverez facilement « L’expert-comptable remet à la secrétaire »…., plutôt que « l’experte comptable remet au secrétaire ». Si vous dites, au cours d’un repas de famille
« J’aime bien cuisiner », vous pourrez, mademoiselle, entendre votre grand-père répondre « tant mieux, tu trouveras un bon mari). A un couple dont les 2 cartes bancaires étaient bloquées, une banquière propose « je débloque celle de Monsieur, pour qu’il aille travailler ». Certains carnets de correspondance de lycées comportent encore deux cases, « chef de famille » et « mère ».
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L’idée qui semble naturelle, c’est que le sexe précède le genre. L’enfance de l’individu rejouerait l’enfance de l’humanité. L’enfant voit d’abord la différence des sexes, des petits garçons et des petites filles. C’est pour lui une épreuve, celle que Freud a nommé castration. La différence perçue va faire l’objet de théories- infantiles, qui lui permettront, et cela n’ira pas sans sacrifice, de se fabriquer, dans les interactions avec les adultes les plus proches, ses parents donc, une identité sexuelle, une identité de genre, qui pourra, ou non, selon les vicissitudes des projections, des introjections, des mondes psychiques supposés des parents, être en conformité avec le corps et ses formes anatomiques.
Les attentes normées sur le comportement viendraient alors se greffer sur cette trame.
Au fond, Freud : « Le destin, c’est l’anatomie ! »
A quoi Simone de Beauvoir répond : « on ne nait pas femme, on le devient ! »
Les attitudes adoptées envers les enfants sont fort différentes selon le sexe, et ce, très tôt. Dans notre culture, on s’attend à ce que le petit garçon soit robuste, fort, bougeon. Et la petite fille douce, fine, délicate !
Jeux, aménagement de chambre, comportements censurés au encouragés, habillement, mode privilégié d’interaction avec les jouets…
Françoise Héritier rapporte une expérience. On présente à un groupe d’étudiants une photo montrant un bébé qui crie. Et on demande pourquoi crie-t-il ? Si on précise qu’il s’agit d’une fille, la réponse prévalente sera « Elle a peur » Si on précise qu’il s’agit d’un garçon (c’est le même bébé), ou obtiendra plutôt, « Il est en colère »
L’enfant, alors, va adopter des conduites appropriées à son sexe, dans une culture. Et il acquiert aussi des connaissances sur le » sexe » comme catégorie. Et vers 2 ou 3 ans, il peut classer les individus selon le sexe, masculin ou féminin. A partir de 2 à 3 ans, également, se forme une préférence pour des jeux avec des enfants de même sexe. Plus les enfants passent de temps avec des partenaires identiques à eux, et plus leur comportement sexué se différencie et se renforce !
Pour les théoriciens du genre, l’attente collective préexiste au sexe, et le façonne.
Enfin, la théorie Queer nous dit qu’il n’existe pas de genre masculin ou féminin strictement défini, mais des ambiguïtés, des glissements, des transferts, qu’il s’agisse d’ambiguïtés génétiques, ou de variations de la perceptions intime du moi sexué, et de l’orientation sexuelle.
5
Combien existe-t-il de sexes ?
1 ? ,2 ? ,3 ?,4 ?
D’Aristote au XVI siècle, pour les savants, les médecins donc, il n’y a qu’un sexe… le masculin, soit la forme achevée. Le genre femme a un sexe identique, mais inversé. Moins parfaite simplement, la femme est moins chaude, plus fluide. (Gallien : « Si elle désire, c’est qu’elle a des testicules ». Idem dans le monde arabo- musulman (Avicenne, Averroès).
A partir du XVIII siècle, il y a 2 genres et deux sexes. La femme est alors identifiée à ses ovaires, qu’on lui ôte en cas d’hystérie.
Freud dit : 1 et 2 ! Bisexualité de chacun, donc unisexisme. Mais orgasme vaginal, donc jouissance féminine spécifique. Mais libido non sexuée !
Pour les Inuit, et les indiens des plaines, il y a 3 sexes. C’est, du moins, l’interprétation que font les ethnologues canadiens Bernard Saladin D’Anglure et Pierrette Desy.
Chez les Inuits, le sexe, d’une part, est supposé instable à la naissance. Il peut se changer, même si tout l’univers est divisé en mâle et femelle : animaux, végétaux, minéraux, corps célestes, saisons, phénomènes atmosphériques…
Lorsqu’un enfant nait, d’autre part, on lui donne un nom d’un ancêtre décédé… et s’il est de sexe oppose, l’enfant sera élevé jusqu’à la puberté dans les rôles sociaux de l’autre sexe, incluant les vêtements. Ensuite, il (ou elle) va regagner son groupe de sexe.
Mais un Inuit, enfin, peut devenir chamane et être considère comme homme à identité féminine ou femme à identité masculine. Ces membres du troisième sexe vont jouer un rôle de communication entre les humains et les composantes de l’univers.
Ces chamanes sont très souvent travestis. Ils portent des vêtements des 2 sexes. Bernard Saladin d’Anglure : « Le chamane n’appartient ni à la classe des hommes, ni à celle des femmes, mais à une troisième classe, avec des tabous à traits masculins et féminins »
Pierrette Desy, elle, a montré que quasiment toutes les tribus indiennes d’Amérique du Nord, (surtout chez les indiens des plaines : Hurons, Iroquois, Pueblo, Hopi, Navajo, Zuni, Cheyenne, etc.) ont eu des « hommes-femmes », que les blancs, colonisateurs, appelaient des Berdaches. Et en assez grand nombre. Le passage à cette catégorie se faisait vers l’adolescence, après un rite de passage, ou un rêve, ou une vision. Ils étaient « manitou », avec des fonctions, tout à fait socialement reconnues, sans aucune conception pathologique ou marginale, de médiation entre le sacré et le profane, de marieur, de magicien…
« Le Berdache n’était ni fou, ni malade, ni déviant, mais autre. A la question : Comment peut-on être un homme, comment peut-on être une femme, il répondait par : femme –homme ! »
Robent Neuburger parle du psychothérapeute comme d’un passeur de frontières. Chamane, homme –femme peut-être !
Notre société connait des êtres qui passent la barrière, qui transgressent la différence, la distinction, des sexes : Des cas classiques d’hermaphrodisme, mais aussi des transsexuels, ou transgenres. Et c’est de cela que nous parle la théorie Queer
Sandra Benn, sociologue, distingue 4 catégories psychosociales de sexe :
– Des Hommes à masculinité élevée et féminité faible
– Des Femmes à masculinité faible et féminité élevée
– Des types croisés : homme avec masculinité faible et féminité élevée ; femme avec féminité faible et masculinité élevée ; homme ou femme avec masculinité et féminité faibles (ni –ni ?)
– Des androgynes : homme ou femme avec masculinité et féminité élevés (et –et ?)
Robert Neuburger, lui, nous proposa jadis, comme une boutade, également, 4 sexes :
-des hommes
-des femmes
-des ours, femme ou homme, mais ambigu, de très forte taille (p.ex. : les anciens chanteurs Carlos ou le leader d’Aphrodite’ s Child ; peut-être le lieutenant Violette Rettancourt chez Fred Vargas)
-et des saintes, femmes ou hommes, mais ambigus aussi, très maigres, et androgynes (
(Simone Weill, Hildegarde Von Bingen, Kate Moss)
On voit le lien avec la classification précédente, mais ou note que Robert Neuburger nous amène la
question de la Séduction !
6 D’une part, nous avons le sentiment d’appartenir à un genre. La plupart d’entre nous nous sentons appartenir au groupe des hommes ou au groupe des femmes, même lorsque nous avons conscience de la construction sociale de ces groupes. Et, en même temps, nous sommes assignés par les autres à cette même appartenance. Qui est alors une inclusion !
Nous gardons en mémoire ce que nous ont montré les anthropologues, c’est-à-dire que certains peuvent se sentir appartenir à un groupe au-delà de cette frontière, et pourtant en accord avec le corps social.
Mais d’autres, dans notre société, sont assignés à un groupe, et se sentent appartenir à un autre groupe.
D’autre part, nous éprouvons une attirance pour un autre. Bien souvent, ce sont des traits masculins ou féminins (selon les codes de notre société), que nous attirent. Mais ce peuvent être des traits croisés, ou androgynes (Carlos, Hildegarde).
Et nous pouvons être attirés par un membre d’un autre ou du même groupe de genre que nous.
Ce que nous disent théorie Queer et militants gays, lesbiens, ou transgenres, c’est qu’appartenance et attirance sexuelle s’inscrivent dans un cadre marqué par la domination du sous-groupe masculin-hétérosexuel.
Tous les membres de tous les sous-groupes s’inscrivent dans des stratégies, plus au moins conscientes ou inconscientes, pour être reconnus dans leur appartenance. Et ces stratégies sont normées et codées. Il existe des façons normées, attendues, de se comporter, y compris dans une appartenance et/ ou une attirance non normée.
7 La famille est évidemment un des creusets où se fabriquent ces appartenances et ces attirances. Mais, bien sûr, la succession des groupes de pairs, notamment, mais pas seulement, à l’école, en est un autre.
Qu’est-ce qu’une famille pour que ces montages surviennent ? Pour un systémicien (constructiviste), ce sont, certes, des corps, distincts, certains porteurs de traits dont la différence sera imputée à des âges différents, voire des générations différentes, mais aussi porteurs de caractères qui seront nommés sexuels.
Mais c’est aussi une matrice de communication, un espace de circulation de la parole et du désir, où se distribuent des rôles, des fonctions, des hiérarchies. Celles-ci sont devenues plus incertaines de nos jours, où se mêlent tradition et réinvention.
C’est également un flux temporel, un fleuve du temps, translation des générations : enfant de, parent, parent de parent, parent de parent de parent, ancien, ancêtre… Une histoire qu’on se raconte, des vertus et des rêves qui circulent, des histoires de différence et de conformité.
Une identité, enfin, de croyances et de liens.
Bref, une institution, de la société, et, par-là, soumise à ses vicissitudes, transmettant et amortissant ses normes, et participant à leurs transformation.
8 Bibliographie
BUTLER Judith Trouble dans le genre La Découverte Paris 2005
Ces corps qui comptent Editions Amsterdam Paris 2009
DELRIEU A.: L’invention du père biologique et la fabrique du sexe féminin Synapse fevrier 1998 N° 143 p 33 – 37
DESY Pierrette L’homme-femme (le Berdache en Amerique de Nord) Libre Payot Paris 1978 N° 78-3 p 57 – 102
HERITIER Françoise : Hommes, femmes, la construction de la différence Le Pommier Paris 2005
Masculin – Féminin. La pensée de la différence Odile Jacob Paris 1996
La différence des sexes Bayard Montrouge 2010
SALADIN D’ANGLURE Bernard : Le troisième sexe social chez les Inuits Diogène, N° 208 2004 p 157 – 168
Le troisième sexe La Recherche N° 245 1992 p 836 – 844
Du projet P.A.R.A.D.I. au sexe des anges Anthropologie et société Vol 9 N°3 1985 p 139 – 176
Osez le Féminisme : blog sur : www.osezlefeminisme.fr
LADIN D’ANGLURE Bernard : Le troisième sexe social chez les Inuits Diogène, N° 208 2004 p 157 – 168
Le troisième sexe La Recherche N° 245 1992 p 836 – 844
Du projet P.A.R.A.D.I. au sexe des anges Anthropologie et société Vol 9 N°3 1985 p 139 – 176
Osez le Féminisme : blog sur : Vwww.osezlefeminisme.fr